Ce petit homme, dont les bras se mouvaient à la manière des aiguilles sur un cadran, marchait par saccades, sans se retourner jamais. Le suivait-on, on trouvait qu'il faisait une lieue par heure et que sa marche était à peu près circulaire.
Il y avait peu de temps que cet être bizarre errait ainsi, ou plutôt tournait par la ville; mais on avait pu observer déjà que chaque jour, au moment où le soleil passait au méridien, il s'arrêtait devant la cathédrale de Saint Pierre, et qu'il reprenait sa route après les douze coups de midi. Hormis ce moment précis, il semblait surgir dans toutes les conversations où l'on s'occupait du vieil horloger, et l'on se demandait, avec effroi, quel rapport pouvait exister entre lui et maître Zacharius. Au surplus, on remarquait qu'il ne perdait pas de vue le vieillard et sa fille pendant leurs promenades.
Un jour, sur la Treille, Gérande aperçut ce monstre qui la regardait en riant. Elle se pressa contre son père, avec un mouvement d'effroi.
«Qu'as-tu, ma Gérande? demanda maître Zacharius.
--Je ne sais, répondit la jeune fille.
--Je te trouve changée, mon enfant! dit le vieil horloger. Voilà donc que tu vas tomber malade à ton tour? Eh bien! ajouta-t-il avec un triste sourire, il faudra que je te soigne, et je te soignerai bien.
--Oh! mon père, ce ne sera rien. J'ai froid, et j'imagine que c'est....
--Eh quoi, Gérande?
--La présence de cet homme qui nous suit sans cesse,» répondit-elle à voix basse.
Maître Zacharius se retourna vers le petit vieillard.
«Ma foi, il va bien, dit-il avec un air de satisfaction, car il est justement quatre heures. Ne crains rien, ma fille, ce n'est pas un homme, c'est une horloge!»
Gérande regarda son père avec terreur. Comment maître Zacharius avait-il pu lire l'heure sur le visage de cette étrange créature?
«À propos, continua le vieil horloger, sans plus s'occuper de cet incident, je ne vois pas Aubert depuis quelques jours.
--Il ne nous quitte cependant pas, mon père, répondit Gérande, dont les pensées prirent une teinte plus douce.
--Que fait-il, alors?
--Il travaille, mon père.
--Ah! s'écria le vieillard, il travaille à réparer mes montres, n'est-il pas vrai? Mais il n'y parviendra jamais, car ce n'est pas une réparation qu'il leur faut, mais bien une résurrection!»
Gérande demeura silencieuse.
«Il faudra que je sache, ajouta le vieillard, si l'on n'a pas encore rapporté quelques-unes de ces montres damnées sur lesquelles le diable a jeté une épidémie!»
Puis, après ces mots, maître Zacharius tomba dans un mutisme absolu jusqu'au moment où il heurta la porte de son logis, et pour la première fois depuis sa convalescence, tandis que Gérande regagnait tristement sa chambre, il descendit à son atelier.
Au moment où il en franchissait la porte, une des nombreuses horloges suspendues au mur vint à sonner cinq heures. Ordinairement, les différentes sonneries de ces appareils, admirablement réglées, se faisaient entendre simultanément, et leur concordance réjouissait le coeur du vieillard; mais, ce jour-là, tous ces timbres tintèrent les uns après les autres, si bien que pendant un quart d'heure l'oreille fut assourdie par leurs bruits successifs. Maître Zacharius souffrait affreusement; il ne pouvait tenir en place, il allait de l'une à l'autre de ces horloges, et il leur battait la mesure, comme un chef d'orchestre qui ne serait plus maître de ses musiciens.
Lorsque le dernier son s'éteignit, la porte de l'atelier s'ouvrit, et maître Zacharius frissonna de la tête aux pieds en voyant devant lui le petit vieillard, qui le regarda fixement et lui dit:
«Maître, ne puis-je m'entretenir quelques instants avec vous?
--Qui êtes-vous? demanda brusquement l'horloger.
--Un confrère. C'est moi qui suis chargé de régler le soleil.
--Ah! c'est vous qui réglez le soleil? répliqua vivement maître Zacharius sans sourciller. Eh bien! je ne vous en complimente guère! Votre soleil va mal, et, pour nous trouver d'accord avec lui, nous sommes obligés tantôt d'avancer nos horloges et tantôt de les retarder!
--Et par le pied fourchu du diable! s'écria le monstrueux personnage, vous avez raison, mon maître! Mon soleil ne marque pas toujours midi au même moment que vos horloges; mais, un jour, on saura que cela vient de l'inégalité du mouvement de translation de la terre, et l'on inventera un midi moyen qui réglera cette irrégularité!
--Vivrai-je encore à cette époque? demanda le vieil horloger, dont les yeux s'animèrent.