L'horloger essaya vainement de les remplacer: les roues demeurèrent immobiles. Ces dérangements inexplicables firent un tort immense à maître Zacharius. Ses magnifiques inventions avaient laissé maintes fois planer sur lui des soupçons de sorcellerie, qui reprirent dès lors consistance. Le bruit en parvint jusqu'à Gérande, et elle trembla souvent pour son père, lorsque des regards malintentionnés se fixaient sur lui.
Cependant, le lendemain de cette nuit d'angoisses, maître Zacharius parut se remettre au travail avec quelque confiance. Le soleil du matin lui rendit quelque courage. Aubert ne tarda pas à le rejoindre à son atelier et en reçut un bonjour plein d'affabilité.
«Je vais mieux, dit le vieil horloger. Je ne sais quels étranges maux de tête m'obsédaient hier, mais le soleil a chassé tout cela avec les nuages de la nuit.
--Ma foi! maître, répondit Aubert, je n'aime la nuit ni pour vous, ni pour moi!
--Et tu as raison, Aubert! Si tu deviens jamais un homme supérieur, tu comprendras que le jour t'est nécessaire comme la nourriture! Un savant de grand mérite se doit aux hommages du reste des hommes.
--Maître, voilà le péché d'orgueil qui vous reprend.
--De l'orgueil, Aubert! Détruis mon passé, anéantis mon présent, dissipe mon avenir, et alors il me sera permis de vivre dans l'obscurité! Pauvre garçon, qui ne comprend pas les sublimes choses auxquelles mon art se rattache tout entier! N'es-tu donc qu'un outil entre mes mains?
--Cependant, maître Zacharius, reprit Aubert, j'ai plus d'une fois mérité vos compliments pour la manière dont j'ajustais les pièces les plus délicates de vos montres et de vos horloges!
--Sans aucun doute, Aubert, répondit maître Zacharius, tu es un bon ouvrier que j'aime; mais, quand tu travailles, tu ne crois avoir entre tes doigts que du cuivre, de l'or, de l'argent, et tu ne sens pas ces métaux, que mon génie anime, palpiter comme une chair vivante! Aussi, tu ne mourrais pas, toi, de la mort de tes oeuvres!»
Maître Zacharius demeura silencieux après ces paroles; mais Aubert chercha à reprendre la conversation.
«Par ma foi! maître, dit-il, j'aime à vous voir travaillant ainsi sans relâche! Vous serez prêt pour la fête de notre corporation, car je vois que le travail de cette montre de cristal avance rapidement.
--Sans doute, Aubert, s'écria le vieil horloger, et ce ne sera pas un mince honneur pour moi que d'avoir pu tailler et couper cette matière qui a la dureté du diamant! Ah! Louis Berghem a bien fait de perfectionner l'art des diamantaires, qui m'a permis de polir et percer les pierres les plus dures!»
Maître Zacharius tenait en ce moment de petites pièces d'horlogerie en cristal taillé et d'un travail exquis. Les rouages, les pivots, le boîtier de cette montre étaient de la même matière, et, dans cette oeuvre de la plus grande difficulté, il avait déployé un talent inimaginable.
«N'est-ce pas, reprit-il, tandis que ses joues s'empourpraient, qu'il sera beau de voir palpiter cette montre à travers son enveloppe transparente, et de pouvoir compter les battements de son coeur!
--Je gage, maître, répondit le jeune ouvrier, qu'elle ne variera pas d'une seconde par an!
--Et tu gageras à coup sûr! Est-ce que je n'ai pas mis là le plus pur de moi-même? Est-ce que mon coeur varie, lui?»
Aubert n'osa pas lever les yeux sur son maître.
«Parle-moi franchement, reprit mélancoliquement le vieillard. Ne m'as-tu jamais pris pour un fou? Ne me crois-tu pas livré parfois à de désastreuses folies? Oui, n'est-ce pas! Dans les yeux de ma fille et dans les tiens, j'ai lu souvent ma condamnation.--Oh! s'écria-t-il avec douleur, n'être pas même compris des êtres que l'on aime le plus au monde! Mais à toi, Aubert, je te prouverai victorieusement que j'ai raison! Ne secoue pas la tête, car tu seras stupéfié! Le jour où tu sauras m'écouter et me comprendre, tu verras que j'ai découvert les secrets de l'existence, les secrets de l'union mystérieuse de l'âme et du corps!»
En parlant ainsi, maître Zacharius se montrait superbe de fierté.