Jules Verne

«Vous me rendrez raison! s'écria le bourgmestre en portant son poing sous le nez de son adversaire.

--Quand il vous plaira!» hurla le conseiller Niklausse, en imprimant à son pied droit un balancement redoutable.

Le gardien, qui lui-même était exaspéré,--on ne sait pas pourquoi,--trouva cette scène de provocation toute naturelle. Je ne sais quelle surexcitation personnelle le poussait à se mettre de la partie; mais il se contint et alla répandre dans tout le quartier qu'une rencontre prochaine devait avoir lieu entre le bourgmestre van Tricasse et le conseiller Niklausse.

XIV

Où les choses sont poussées si loin que les habitants de Quiquendone, les lecteurs et même l'auteur réclament un dénoûment immédiat.

Ce dernier incident prouve à quel point d'exaltation était montée cette population quiquendonienne. Les deux plus vieux amis de la ville, et les plus doux,--avant l'invasion du mal,--en arriver à ce degré de violence! Et cela quelques minutes seulement après que leur ancienne sympathie, leur instinct aimable, leur tempérament contemplatif venaient de reprendre le dessus au sommet de cette tour!

En apprenant ce qui se passait, le docteur Ox ne put contenir sa joie. Il résistait aux arguments de son préparateur, qui voyait les choses prendre une mauvaise tournure. D'ailleurs, tous deux subissaient l'exaltation générale. Ils étaient non moins surexcités que le reste de la population, et ils en arrivèrent à se quereller à l'égal du bourgmestre et du conseiller.

Du reste, il faut le dire, une question primait toutes les autres et avait fait renvoyer les rencontres projetées à l'issue de la question virgamenoise. Personne n'avait le droit de verser son sang inutilement, quand il appartenait jusqu'à la dernière goutte à la patrie en danger.

En effet, les circonstances étaient graves, et il n'y avait plus à reculer.

Le bourgmestre van Tricasse, malgré toute l'ardeur guerrière dont il était animé, n'avait pas cru devoir se jeter sur son ennemi sans le prévenir. Il avait donc, par l'organe du garde champêtre, le sieur Hottering, mis les Virgamenois en demeure de lui donner réparation du passe-droit commis en 1195 sur le territoire de Quiquendone.

Les autorités de Virgamen, tout d'abord, n'avaient pu deviner ce dont il s'agissait, et le garde champêtre, malgré son caractère officiel, avait été éconduit fort cavalièrement.

Van Tricasse envoya alors un des aides de camp du général confiseur, le citoyen Hildevert Shuman, un fabricant de sucre d'orge, homme très-ferme, très-énergique, qui apporta aux autorités de Virgamen la minute même du procès-verbal rédigé en 1195 par les soins du bourgmestre Natalis van Tricasse.

Les autorités de Virgamen éclatèrent de rire, et il en fut de l'aide de camp exactement comme du garde champêtre.

Le bourgmestre assembla alors les notables de la ville. Une lettre, remarquablement et vigoureusement rédigée, fut faite en forme d'ultimatum; le _casus belli_ y était nettement posé, et un délai de vingt-quatre heures fut donné à la ville coupable pour réparer l'outrage fait à Quiquendone.

La lettre partit, et revint, quelques heures après, déchirée en petits morceaux, qui formaient autant d'insultes nouvelles. Les Virgamenois connaissaient de longue date la longanimité des Quiquendoniens, et ils se moquaient d'eux, de leur réclamation, de leur _casus belli_ et de leur ultimatum.

Il n'y avait plus qu'une chose à faire: s'en rapporter au sort des armes, invoquer le dieu des batailles et, suivant le procédé prussien, se jeter sur les Virgamenois avant qu'ils fussent tout à fait prêts.

C'est ce que décida le conseil dans une séance solennelle, où les cris, les objurgations, les gestes menaçants s'entre-croisèrent avec une violence sans exemple. Une assemblée de fous, une réunion de possédés, un club de démoniaques n'eût pas été plus tumultueux.

Aussitôt que la déclaration de guerre fut connue, le général Jean Orbideck rassembla ses troupes, soit deux mille trois cent quatre-vingt-treize combattants sur une population de deux mille trois cent quatre-vingt-treize âmes.