Jules Verne

Combien de temps avait duré ce sommeil, Franz ne sut le constater, lorsqu'il se réveilla. Sa montre arrêtée ne lui indiquait plus l'heure. Mais la crypte était baignée de nouveau d'une lumière artificielle.

Franz s'éloigna hors de son lit, fit quelques pas du côté de la première porte : elle était toujours ouverte ; -- vers la seconde porte : elle était toujours fermée.

Il voulut réfléchir et cela ne se fit pas sans peine.

Si son corps était remis des fatigues de la veille, il se sentait la tête à la fois vide et pesante.

« Combien de temps ai-je dormi ? se demanda-t-il. Fait-il nuit, fait-il jour ?... »

A l'intérieur de la crypte, il n'y avait rien de changé, si ce n'est que la lumière avait été rétablie, la, nourriture renouvelée, le broc rempli d'une eau claire.

Quelqu'un était-il donc entré pendant que Franz était plongé dans cet accablement torpide ? On savait qu'il avait atteint les profondeurs du burg ?... Il se trouvait au pouvoir du baron Rodolphe de Gortz... Était-il condamné à ne plus avoir aucune communication avec ses semblables ?

Ce n'était pas admissible, et, d'ailleurs, il fuirait, puisqu'il pouvait encore le faire, il retrouverait la galerie qui conduisait à la poterne, il sortirait du château...

Sortir ?... Il se souvint alors que la poterne s'était refermée derrière lui...

Eh bien ! il chercherait à gagner le mur d'enceinte, et par une des embrasures de la courtine, il essaierait de se glisser au-dehors... Coûte que coûte, il fallait qu'avant une heure, il se fût échappé du burg...

Mais la Stilla... Renoncerait-il à parvenir jusqu'à elle ?... Partirait-il sans l'avoir arrachée à Rodolphe de Gortz ?...

Non ! et ce dont il n'aurait pu venir à bout, il le ferait avec le concours des agents que Rotzko avait dû ramener de Karlsburg au village de Werst... On se précipiterait à l'assaut de la vieille enceinte... on fouillerait le burg de fond en comble !...

Cette résolution prise, il s'agissait de la mettre à exécution sans perdre un instant.

Franz se leva, et il se dirigeait vers le couloir par lequel il était arrivé, lorsqu'une sorte de glissement se produisit derrière la seconde porte de la crypte.

C'était certainement un bruit de pas qui se rapprochaient -- lentement.

Franz vint placer son oreille contre le vantail de la porte, et, retenant sa respiration, il écouta...

Les pas semblaient se poser à intervalles réguliers, comme s'ils eussent monté d'une marche à une autre. Nul doute qu'il y eût là un second escalier, qui reliait la crypte aux cours intérieures.

Pour être prêt à tout événement, Franz tira de sa gaine le couteau qu'il portait à sa ceinture et l'emmancha solidement dans sa main.

Si c'était un des serviteurs du baron de Gortz qui entrait, il se jetterait sur lui, il lui arracherait ses clefs, il le mettrait hors d'état de le suivre ; puis, s'élançant par cette nouvelle issue, il tenterait d'atteindre le donjon.

Si c'était le baron Rodolphe de Gortz -- et il reconnaîtrait bien l'homme qu'il avait aperçu au moment où la Stilla tombait sur la scène de San-Carlo --, il le frapperait sans pitié.

Cependant les pas s'étaient arrêtés au palier qui formait le seuil extérieur.

Franz, ne faisant pas un mouvement, attendait que la porte s'ouvrît...

Elle ne s'ouvrit pas, et une voix d'une douceur infinie arriva jusqu'au jeune comte.

C'était la voix de la Stilla... oui !... mais sa voix un peu affaiblie avec toutes ses inflexions, son charme inexprimable, ses caressantes modulations, admirable instrument de cet art merveilleux qui semblait être mort avec l'artiste.

Et la Stilla répétait là plaintive mélodie, qui avait bercé le rêve de Franz, lorsqu'il sommeillait dans la grande salle de l'auberge de Werst :

Nel giardino de' mille fiori, Andiamo, mio cuore...

Ce chant pénétrait Franz jusqu'au plus profond de son âme... Il l'aspirait, il le buvait comme une liqueur divine, tandis que la Stilla semblait l'inviter à la suivre, répétant :

Andiamo, mio cuore... andiamo...