Jules Verne

--Comment! si ce sont des voleurs! s'écria le seigneur Yanar d'une voix de tonnerre. Et que voulez-vous qu'ils soient, ces bandits?

--Peut-être ... quelques présomptueux ... quelques fous! ... répondit Kidros, qui cherchait à défendre l'honorabilité de son établissement. Oui! ... pourquoi pas ... quelque amoureux attiré ... entraîné ... par les charmes de la noble Saraboul!....

--Par Mahomet, répondit le seigneur Yanar, en portant la main à sa panoplie, il ferait beau voir! L'honneur d'une Kurde serait en jeu? On aurait voulu attenter a l'honneur d'une Kurde! ... Alors ce ne serait plus assez de l'arrestation, de l'emprisonnement, du pal! ... Le plus épouvantable des supplices ne suffirait pas ... à moins que l'audacieux n'eût une position et une fortune qui lui permissent de réparer sa faute!

--De grâce, veuillez vous calmer, seigneur Yanar, répondit maître Kidros, et prenez patience! L'enquête nous fera connaître l'auteur ou les auteurs de cet attentat. Je vous le répète, le juge a été mandé. J'ai été moi-même le chercher à Trébizonde, et, quand je lui ai raconté l'affaire, il m'a assuré qu'il avait un moyen à lui,--un moyen sûr,--de découvrir les malfaiteurs, quels qu'ils fussent!

--Et quel est ce moyen? demanda le seigneur Yanar d'un ton passablement ironique.

--Je l'ignore, répondit maître Kidros, mais le juge affirme que ce moyen est infaillible!

--Soit! dit le seigneur Yanar, nous verrons cela demain. Je me retire dans ma chambre, mais je veillerai ... je veillerai en armes!»

Et ce disant, le terrible personnage se dirigea vers sa chambre, voisine de celle qu'occupait sa soeur. Là, il s'arrêta une dernière fois sur le seuil, et, tendant un bras menaçant vers la cour du caravansérail:

«On ne plaisante pas avec l'honneur d'une Kurde!» s'écria-t-il d'une voix formidable.

Puis il disparut.

Maître Kidros poussa un long soupir de soulagement.

«Enfin, se dit-il, nous verrons bien comment tout cela finira! Mais quant aux voleurs, s'il y en a jamais eu, mieux vaut qu'ils aient décampé!»

Pendant ce temps, Scarpante s'entretenait à voix basse avec le seigneur Saffar et Yarhud.

«Oui, leur disait-il, grâce à cette affaire, il y a peut-être quelque coup à tenter!

--Tu prétends? ... demanda Saffar.

--Je prétends susciter ici même, à cet Ahmet, quelque désagréable aventure, qui pourrait bien le retenir plusieurs jours à Trébizonde et même le séparer de sa fiancée!

--Soit, mais si la ruse échoue....

--La force alors,» répondit Scarpante.

En ce moment, maître Kidros aperçut Saffar, Scarpante et Yarhud qu'il n'avait pas encore vus. Il s'avança vers eux, et, du ton le plus aimable:

«Vous demandez, seigneurs? ... dit-il.

--Des voyageurs, qui doivent arriver d'un instant à l'autre pour passer la nuit au caravansérail,» répondit Scarpante.

A cet instant, quelque bruit se fit entendre au dehors,--le bruit d'une caravane, dont les chevaux ou les mulets s'arrêtaient à la porte extérieure.

«Les voici, sans doute?» dit maître Kidros.

Et il se dirigea vers le fond de la cour, pour aller à la rencontre des nouveaux arrivants.

«En effet, reprit-il, en s'arrêtant sur la porte, voici des voyageurs qui arrivent à cheval! Quelques riches personnages, sans doute, à en juger sur leur mine! ... C'est bien le moins que j'aille au-devant d'eux leur offrir mes services!»

Et il sortit.

Mais, en même temps que lui, Scarpante s'était avancé jusqu'à l'entrée da la cour, puis, regardant au dehors;

«Ces voyageurs, seraient-ce Ahmet et ses compagnons? demanda-t-il, en s'adressant au capitaine maltais.

--Ce sont eus! répondit Yarhud, qui recula vivement, afin de n'être point reconnu.

--Eux? s'écria le seigneur Saffar, en s'avançant à son tour, mais sans sortir de la cour du caravansérail.

--Oui! ... répondit Yarhud, voilà bien Ahmet, sa fiancée, sa suivante ... les deux serviteurs....

--Tenons-nous sur nos gardes! dit Scarpante, en faisant signe a Yarhud de se cacher.

--Et déjà vous pouvez entendre la voix du seigneur Kéraban? reprit le capitaine maltais.