«Je vous le répète, seigneur Saffar, disait ce dernier, c'est ici le caravansérail de Rissar! C'est ici et aujourd'hui même que la lettre de Yarhud nous donne rendez-vous!
--Le chien! s'écria Saffar. Comment se fait-il qu'il ne soit pas encore arrivé?
--Il ne peut tarder maintenant?
--Et pourquoi cette idée d'amener ici la jeune Amasia, au lieu de la conduire directement à Trébizonde?»
Saffar et Scarpante, on le voit, ignoraient le naufrage de la _Guïdare_ et quelles en avaient été les conséquences.
«La lettre que Yarhud m'a adressée, reprit Scarpante, venait du port d'Atina. Elle ne dit rien au sujet de la jeune fille enlevée, et se borne à me prier de venir ce soir au caravansérail de Rissar.
--Et il n'est pas encore là! s'écria le seigneur Saffar, en faisant deux ou trois pas vers la porte. Ah! qu'il prenne garde de lasser ma patience! J'ai le pressentiment que quelque catastrophe....
--Pourquoi, seigneur Saffar? Le temps a été très mauvais sur la mer Noire! Il est probable que la tartane n'aura pu atteindre Trébizonde, et, sans doute, rejetée jusqu'au port d'Atina....
--Et qui nous dit, Scarpante, que Yarhud a d'abord pu réussir, lorsqu'il a tenté d'enlever la jeune fille, à Odessa?
--Yarhud est non seulement un hardi marin, seigneur Saffar, répondit Scarpante, c'est aussi un habile homme!
--Et l'habileté ne suffit pas toujours!» répondit d'une voix calme le capitaine maltais, qui depuis quelques instants se tenait immobile sur le seuil du caravansérail.
Le seigneur Saffar et Scarpante s'étaient aussitôt retournés, et l'intendant de s'écrier:
«Yarhud!
--Enfin, te voilà! lui dit assez brutalement le seigneur Saffar, en marchant vers lui.
--Oui, seigneur Saffar, répondit le capitaine qui s'inclina respectueusement, oui! ... me voilà ... enfin!
--Et la fille du banquier Sélim? demanda Saffar. Est-ce que tu n'as pu réussir à Odessa?....
--La fille du banquier Sélim, répondit Yarhud, a été enlevée par moi, il y a environ six semaines, peu après le départ de son fiancé Ahmet, forcé de suivre son oncle dans un voyage autour de la mer Noire. J'ai immédiatement fait voile pour Trébizonde; mais, avec ces temps d'équinoxe, ma tartane a été repoussée dans l'est, et, malgré tous mes efforts, elle est venue faire côte sur les roches d'Atina, où a péri tout mon équipage.
--Tout ton équipage! ... s'écria Scarpante.
--Oui!
--Et Amasia? ... demanda vivement Saffar, que la perte de la _Guïdare_ semblait peu toucher.
--Elle est sauvée, répondit Yarhud, sauvée avec la jeune suivante que j'avais dû enlever en même temps qu'elle!
--Mais si elle est sauvée ... demanda Scarpante.
--Où est-elle? s'écria Saffar.
--Seigneur, répondit le capitaine maltais, la fatalité est contre moi, ou plutôt contre vous!
--Mais parle donc répliqua Saffar, dont toute l'attitude était pleine de menaces.
--La fille du banquier Sélim, répondit Yarhud, a été sauvée par son fiancé Ahmet, que le plus regrettable hasard venait d'amener sur le théâtre du naufrage!
--Sauvée ... par lui?... s'écria Scarpante.
--Et, en ce moment? ... demanda Saffar.
--En ce moment, cette jeune fille, sous la protection d'Ahmet, de l'oncle d'Ahmet et des quelques personnes qui les accompagnent, se dirige vers Trébizonde. De là, tous doivent gagner Scutari pour la célébration du mariage, qui doit être faite avant la fin de ce mois!
--Maladroit! s'écria le seigneur Saffar. Avoirlaissé échapper Amasia au lieu de la sauver toi-même!
--Je l'eusse fait au péril de ma vie, seigneur Saffar, répondit Yarhud, et elle serait en ce moment dans votre palais, à Trébizonde, si cet Ahmet ne se fût trouvé là au moment où sombrait la _Guïdare!_
--Ah! tu es indigne des missions qu'on te confie! répliqua Saffar, qui ne put retenir un violent mouvement de colère.
--Veuillez m'écouter, seigneur Saffar, dit alors Scarpante. Avec un peu de calme, vous voudrez bien reconnaître que Yarhud a fait tout ce qu'il pouvait faire!
--Tout! répondit le capitaine maltais.
--Tout n'est pas assez, répondit Saffar, lorsqu'il s'agit d'accomplir un de mes ordres!
--Ce qui est passé est passé, seigneur Saffar! reprit Scarpante.