Jules Verne

Il s'en fallait encore d'une demi-heure avant que la bourgade ne pût être atteinte.

Ahmet, très inquiet, ne savait quel parti prendre, lorsqu'au tournant de la côte une vive lueur apparut à une portée de fusil. C'était le feu du phare d'Atina, élevé sur la falaise, en avant de la bourgade, et qui projetait une lumière assez intense au milieu de l'obscurité.

Ahmet eut la pensée de demander, pour la nuit, l'hospitalité aux gardiens, qui devaient être à leur poste.

Il frappa à la porte de la maisonnette, construite au pied du phare.

Quelques instants de plus, le seigneur Kéraban et ses compagnons n'auraient pu résister aux coups de la tempête.

III

DANS LEQUEL BRUNO JOUE A SON CAMARADE NIZIB UN TOUR QUE LE LECTEUR VOUDRA BIEN LUI PARDONNER.

Une grossière maison de bois, divisée en deux chambres avec fenêtres ouvertes sur la mer, un pylône, fait de poutrelles, supportant un appareil catoptrique, c'est-à-dire une lanterne à réflecteurs, et dominant le toit d'une soixantaine de pieds, tel était le phare d'Atina et ses dépendances. Donc rien de plus rudimentaire.

Mais, tel qu'il était, ce feu rendait de grands services à la navigation, au milieu de ces parages. Son établissement ne datait que de quelques années. Aussi, avant que les difficiles passes du petit port d'Atina qui s'ouvre plus à l'ouest fussent éclairées, que de navires s'étaient mis à la côte au fond de ce cul-de-sac du continent asiatique! Sous la poussée des brises du nord et de l'ouest, un steamer a de la peine à se relever, malgré les efforts de sa machine,--à plus forte raison, un bâtiment à voiles, qui ne peut lutter qu'en biaisant contre le vent.

Deux gardiens demeuraient à poste fixe dans la maisonnette de bois, disposée au pied du phare; une première chambre leur servait de salle commune; une seconde contenait les deux couchettes qu'ils n'occupaient jamais ensemble, l'un d'eux étant de garde chaque nuit, aussi bien pour l'entretien du feu que pour le service des signaux, lorsque quelque navire s'aventurait sans pilote dans les passes d'Atina.

Aux coups qui furent frappés du dehors, la porte de la maisonnette s'ouvrit. Le seigneur Kéraban, sous la violente poussée de l'ouragan --ouragan lui-même!--entra précipitamment, suivi d'Ahmet, de Van Mitten, de Bruno et de Nizib.

«Que demandez-vous? dit l'un des gardiens, que son compagnon, réveillé par le bruit, rejoignit presque aussitôt.

--L'hospitalité pour la nuit? répondit Ahmet.

--L'hospitalité? reprit le gardien. Si ce n'est qu'un abri qu'il vous faut, la maison est ouverte.

--Un abri, pour attendre le jour, répondit Kéraban, et de quoi apaiser notre faim.

--Soit, dit le gardien, mais vous auriez été mieux dans quelque auberge du bourg d'Atina.

--A quelle distance est ce bourg? demanda Van Mitten.

--A une demi-lieue-environ du phare et en arrière des falaises, répondit le gardien.

--Une demi-lieue à faire par ce temps horrible! s'écria Kéraban. Non, mes braves gens, non! ... Voici des bancs sur lesquels nous pourrons passer la nuit! ... Si notre araba et nos chevaux peuvent s'abriter derrière votre maisonnette, c'est tout ce qu'il nous faudra! ... Demain, dès qu'il fera jour, nous gagnerons la bourgade, et qu'Allah nous vienne en aide pour y trouver quelque véhicule plus convenable....

--Plus rapide, surtout! ... ajouta Ahmet.

--Et moins rude! ... murmura Bruno entre ses dents.

--... que cette araba dont il ne faut pourtant pas dire du mal! ... répliqua le seigneur Kéraban, qui jeta un regard sévère au rancunier serviteur de Van Mitten.

--Seigneur, reprit le gardien, je vous répète que notre demeure est à votre service. Bien des voyageurs y ont déjà cherché asile contre le mauvais temps et se sont contentés....

--De ce dont nous saurons bien nous contenter nous-mêmes!» répondit Kéraban.

Et cela dit, les voyageurs prirent leurs mesures pour passer la nuit dans cette maisonnette. En tout cas, ils ne pouvaient que se féliciter d'avoir trouvé un tel refuge, si peu confortable qu'il fût, à entendre le vent et la pluie qui faisaient rage au dehors.