Jules Verne

--Je vous engage aussi, reprit Yarhud, à bien examiner ces mousselines de Scutari et de Tournovo. Vous pourrez juger, sur cet échantillon, de la perfection du travail; mais c'est à bord que vous serez émerveillés par la variété des dessins et l'éclat des couleurs de ces tissus.

--Eh bien, c'est entendu, capitaine, nous irons rendre visite a la _Guïdare_! s'écria Nedjeb.

--Et vous ne le regretterez pas, reprit Yarhud. Mais permettez-moi de vous montrer encore quelques autres articles. Voici des brocarts diamantés, des chemises de soie crêpée à rayures diaphanes, des tissus pour féredjés, des mousselines pour iachmaks, des châles de Perse pour ceinture, des taffetas pour pantalons...»

Amasia ne se lassait pas d'admirer ces magnifiques étoffes que le capitaine maltais faisait chatoyer sous ses yeux avec un art infini. Pour peu qu'il fût aussi bon marin qu'il était habile marchand, la _Guïdare_ devait être habituée aux navigations heureuses. Toute femme, --et les jeunes dames turques ne font point exception,--se fût laissé tenter à la vue de ces tissus empruntés aux meilleures fabriques de l'Orient.

Ahmet vit aisément combien sa fiancée les regardait avec admiration. Certainement, ainsi que l'avait dit Nedjeb, ni les bazars d'Odessa, ni ceux de Constantinople,--pas même les magasins de Ludovic, le célèbre marchand arménien,--n'eussent offert un choix plus merveilleux.

«Chère Amasia, dit Ahmet, vous ne voudriez pas que ce honnête capitaine se fût dérangé pour rien? Puisqu'il vous montre de si belles étoffes, et puisque sa tartane en apporte de plus belles encore, nous irons visiter sa tartane.

--Oui! oui! s'écria Nedjeb, qui ne tenait plus en place et courait déjà vers la mer.

--Et nous trouverons bien, ajouta Ahmet, quelque soierie qui plaise à cette folle de Nedjeb!

--Eh! ne faut-il point qu'elle fasse honneur à sa maîtresse, répondit Nedjeb, le jour où l'on célébrera son mariage avec un seigneur aussi généreux que le seigneur Ahmet?

--Et, surtout, aussi bon! ajouta la jeune fille, en tendant la main à son fiancé.

--Voilà qui est convenu, capitaine, dit Ahmet. Vous nous recevrez à bord de votre tartane.

--A quelle heure? demanda Yarhud, car je veux être là pour vous montrer toutes mes richesses?

--Eh bien... dans l'après-midi.

--Pourquoi pas tout de suite? s'écria Nedjeb.

--Oh! l'impatiente! répondit en riant Amasia. Elle est encore plus pressée que moi de visiter ce bazar flottant! On voit bien qu'Ahmet lui a promis quelque cadeau, qui la rendra plus coquette encore!

--Coquette, s'écria Nedjeb, de sa voix caressante, coquette pour vous seule, ma bien-aimée maîtresse!

--Il ne tient qu'à vous, seigneur Ahmet, dit alors le capitaine Yarhud, de venir dès à présent visiter la _Guïdare_. Je puis héler mon canot, il accostera au pied de la terrasse, et, en quelques coups d'avirons, il vous aura déposé à bord.

--Faites donc, capitaine, répondit Ahmet.

--Oui... à bord! s'écria Nedjeb.

--A bord, puisque Nedjeb le veut!» ajouta la jeune fille.

Le capitaine Yarhud ordonna à son matelot de réemballer tous les échantillons qu'il avait apportés.

Pendant ce temps, il se dirigea vers la balustrade, à l'extrémité de la terrasse, et lança un long hélement.

On put aussitôt voir quelque mouvement se faire sur le pont de la tartane. Le grand canot, hissé sur les pistolets de bâbord, fut lestement descendu à la mer; puis, moins de cinq minutes après, une embarcation, effilée et légère, sous l'impulsion de ses quatre avirons, venait accoster les premiers degrés de la terrasse.

Le capitaine Yarhud fit alors signe au seigneur Ahmet que le canot était à sa disposition.

Yarhud, malgré tout l'empire qu'il possédait sur lui-même, ne fut pas sans éprouver une vive émotion. N'était-ce pas là une occasion qui se présentait d'accomplir cet enlèvement? Le temps pressait, car le seigneur Kéraban pouvait arriver d'une heure à l'autre. Rien ne prouvait, d'ailleurs, qu'avant d'opérer ce voyage insensé autour de la mer Noire, il ne voudrait pas célébrer dans le plus bref délai le mariage d'Amasia et d'Ahmet.