Jules Verne

Le contrat enregistré chez le mollah, qui remplit la fonction d'officier ministériel,--contrat par lequel, en principe, le futur s'oblige à donner à sa femme l'ameublement, l'habillement et la batterie de cuisine,--puis, la cérémonie religieuse, toutes ces formalités, rien n'empêcherait de les accomplir en aussi peu de temps que le disait Nedjeb. Mais encore fallait-il que le seigneur Kéraban, dont la présence était indispensable pour la validation du mariage, en sa qualité de tuteur du fiancé, pût prendre sur ses affai les quelques jours que réclamait, au nom de sa jolie maîtresse, l'impatiente Zingare.

En ce moment, la jeune suivante s'écria:

«Ah! voyez!... voyez donc ce petit bâtiment qui vient de jeter l'ancre au pied des jardins!

--En effet!» répondit Amasia.

Et les deux jeunes filles se dirigèrent vers l'escalier qui descendait à la mer, afin de mieux apercevoir le léger navire, gracieusement mouillé en cet endroit.

C'était une tartane, dont la voile pendait maintenant sur ses cargues. Une petite brise lui avait permis de traverser la baie d'Odessa. Sa chaîne la maintenait à moins d'une encâblure du rivage, et elle se balançait doucement sur les dernières lames, qui venaient mourir au pied de l'habitation. Le pavillon turc,--une étamine rouge avec un croissant d'argent,--flottait à l'extrémité de son antenne.

«Peux-tu lire son nom? demanda Amasia à Nedjeb.

--Oui, répondit la jeune fille. Voyez! Elle se présente par l'arrière. Son nom est _Guïdare_.»

La _Guïdare_, en effet, capitaine Yarhud, venait de mouiller en cette partie de la baie. Mais il ne semblait pas qu'elle dût y séjourner longtemps, car ses voiles ne furent point serrées, et un marin aurait reconnu qu'elle restait en appareillage.

«Vraiment, dit Nedjeb, ce serait délicieux de se promener sur cette jolie tartane, par une mer bien bleue, avec un peu de vent, qui la ferait incliner sous ses grandes ailes blanches!»

Puis, grâce à la mobilité de son imagination, la jeune Zingare, apercevant un coffret, déposé sur une petite table en laque de Chine, près du divan, alla l'ouvrir et en tira quelques bijoux.

«Et ces belles choses que le seigneur Ahmet a fait apporter pour vous, s'écria-t-elle. Il me semble que voilà bien une grande heure que nous ne les avons regardées!

--Le penses-tu? murmura Amasia, en prenant un collier et des bracelets, qui scintillèrent sous ses doigts.

--Avec ces bijoux, le seigneur Ahmet espère vous rendre encore plus belle, mais il n'y réussira pas!

--Que dis-tu, Nedjeb? répondit Amasia. Quelle femme ne gagnerait pas à s'orner de ces magnifiques parures? Vois ces diamants de Visapour! Ce sont des joyaux de feu, et ils semblent me regarder comme les beaux yeux de mon fiancé!

--Eh! chère maîtresse, lorsque les vôtres le regardent, ne lui faites-vous pas un cadeau qui vaut le sien?

--Folle! reprit Amasia. Et ce saphir d'Ormuz, et ces perles d'Ophir, et ces turquoises de Macédoine!...

--Turquoise pour turquoise! répondit Nedjeb, avec un joyeux rire, il n'y perd pas, le seigneur Ahmet?

--Heureusement, Nedjeb, il n'est pas là pour t'entendre!

--Bon! s'il était là, chère maîtresse, c'est lui-même qui vous dirait toutes ces vérités, et, de sa bouche, elles auraient un bien autre prix que de la mienne!»

Puis, prenant une paire de pantoufles, déposées près du coffret, Nedjeb se prit à dire:

«Et ces jolies babouches, toutes pailletées et passementées, avec des houppes de cygne, faites pour deux petits pieds que je connais!... Voyons laissez-moi vous les essayer!

--Essaye-les toi-même, Nedjeb.

--Moi?

--Ce ne serait pas la première fois que, pour me faire plaisir...

--Sans doute! sans doute! répondit Nedjeb. Oui! j'ai déjà essayé vos belles toilettes... et j'allais me montrer sur les terrasses de la villa... et l'on risquait de me prendre pour vous, chère maîtresse! C'est que j'étais bien belle ainsi!... Mais non! cela ne doit pas être, et aujourd'hui moins que jamais.

--Voyons, essayez ces jolies pantoufles!

--Tu le veux?»

Et Amasia se prêta complaisamment au caprice de Nedjeb, qui la chaussa de pantoufles dignes d'être mises en évidence derrière quelque vitrine de bibelots précieux.