Ce voyageur n'était autre que le capitaine maltais Yarhud, en route pour Odessa, où, grâce à la rapidité des trains, il allait arriver beaucoup plus tôt que l'oncle du jeune Ahmet.
Van Mitten ne put se retenir de montrer à son ami le convoi filant à toute vapeur.
Celui-ci, suivant son habitude, haussa les épaules.
«Eh! ami Kéraban, on arrive vite! dit Van Mitten.
--Quand on arrive!» répondit le seigneur Kéraban.
Pendant cette première journée de voyage, il faut dire que pas une heure ne fut perdue. L'argent aidant, il n'y eut jamais aucune difficulté aux relais de poste. Les chevaux ne se firent pas plus prier pour se laisser atteler que les postillons pour véhiculer un seigneur qui payait si généreusement.
On passa par Tchalaldjé, par Bayuk-Khan, sur la limite des pentes d'écoulement pour les tributaires de la mer de Marmara, par la vallée de Tchorlou, par le village de Yéni-Keui, puis par la vallée de Galata, à travers laquelle, si l'on en croit la légende, sont forés des canaux souterrains, qui amenaient autrefois l'eau à la capitale.
Le soir venu, la chaise s'arrêtait une heure seulement à la bourgade de Seraï. Comme les provisions, emportées dans les coffres, étaient destinées plus spécialement aux régions dans lesquelles il serait difficile de se procurer les éléments d'un repas, même médiocre, il convenait de les réserver. On dîna donc à Seraï, passablement même, et la route fut reprise.
Peut-être Bruno trouva-t-il un peu dur de passer la nuit dans son cabriolet; mais Nizib regarda cette éventualité comme toute naturelle, et il dormit d'un sommeil contagieux, qui gagna son compagnon.
La nuit s'acheva sans incidents, grâce à un long et sinueux lacet que faisait la route aux approches de Viza, pour éviter les rudes pentes et les terrains marécageux de la vallée. A son grand regret, Van Mitten ne vit donc rien de cette petite ville de sept mille habitants, presque entièrement occupée par une population grecque, et qui est la résidence d'un évêque orthodoxe. Il n'était pas venu pour voir, d'ailleurs, mais bien pour accompagner l'impérieux seigneur Kéraban, lequel se souciait médiocrement de recueillir des impressions de voyage.
Le soir, vers cinq heures, après avoir traversé les villages de Bounar-Hissan, d'Iéna, d'Uskup, les voyageurs contournèrent un petit bois semé de tombes, où reposent les restes des victimes égorgées par une bande de brigands qui jadis opéraient en cet endroit; puis elle atteignit une ville assez importante, de seize mille habitants, Kirk-Kilissé. Son nom «Quarante Églises» est justifié par le grand nombre de ses monuments religieux. C'est, à vrai dire, une sorte de petite vallée, dont les maisons occupent le fond et les flancs, que Van Mitten, suivi du fidèle Bruno, explora en quelques heures.
La chaise fut remisée dans la cour d'un hôtel assez bien tenu, où le seigneur Kéraban et ses compagnons passèrent la nuit, et d'où ils repartirent au point du jour.
Pendant la journée du 19 août, les postillons dépassèrent le village de Karabounar, et arrivèrent le soir très tard au village de Bourgaz, bâti sur le golfe de ce nom. Les voyageurs couchèrent, cette nuit-là, dans un «khani», espèce d'auberge fort rudimentaire, qui certainement ne valait pas leur chaise de poste.
Le lendemain au matin, la route, qui s'écarte du littoral de la mer Noire, les ramena vers Aïdos, et, le soir, à Paravadi, une des stations du petit railway de Choumla à Varna. Ils traversaient alors la province de Bulgarie, à l'extrémité sud de la Dobroutcha, au pied des derniers contreforts de la chaîne des Balkans.
Là, les difficultés furent grandes, pendant ce difficile passage, tantôt au milieu de vallées marécageuses, tantôt à travers des forêts de plantes aquatiques, d'un développement extraordinaire, dans lesquelles la chaise avait bien de la peine à se glisser, troublant dans leurs retraites des milliers de pilets, de bécasses, de bécassines, remisés sur le sol de cette région si accidentée.
On sait que les Balkans forment une chaîne importante.