Jules Verne

--Les mauvaises, c'est que la jeune Amasia, la fille du banquier Sélim, d'Odessa, doit bientôt se marier! C'est que son enlèvement présentera plus de difficultés et demandera plus de hâte que si son mariage n'était ni décidé ni prochain!

--Ce mariage ne se fera pas, Yarhud! s'écria Scarpante un peu plus haut qu'il ne convenait. Non, par Mahomet, il ne se fera pas!

--Je n'ai pas dit qu'il se ferait, Scarpante, répondit Yarhud, j'ai dit qu'il devait se faire.

--Soit, répliqua l'intendant, mais avant trois jours, le seigneur Saffar entend que cette jeune fille soit embarquée pour Trébizonde; et, si tu le jugeais impossible....

--Je n'ai pas dit que c'était impossible, Scarpante. Rien n'est impossible avec de l'audace et de l'argent. J'ai simplement dit que ce serait plus difficile, voilà tout.

--Difficile! répondit Scarpante. Ce ne sera pas la première fois qu'une jeune fille turque ou russe aura disparu d'Odessa et manquera au logis paternel!

--Et ce ne sera pas la dernière, répondit

Yarhud, ou le capitaine de la _Guïdare_ ne saurait plus son métier!

--Quel est l'homme que doit prochainement épouser la jeune Amasia? demanda Scarpante.

--Un jeune Turc, de même race qu'elle.

--Un Turc d'Odessa?

--Non, de Constantinople.

--Et il se nomme?...

--Ahmet.

--Qu'est-ce que cet Ahmet?

--Le neveu et l'unique héritier d'un riche négociant de Galata, le seigneur Kéraban.

--Que fait ce Kéraban?

--Le commerce des tabacs, dans lequel il a gagné une grande fortune. Il a pour correspondant à Odessa le banquier Sélim. Ils font ensemble d'importantes affaires et se rendent souvent visite. C'est dans ces circonstances qu'Ahmet a connu Amasia. C'est de cette façon que le mariage a été décidé entre le père de la jeune fille et l'oncle du jeune homme.

--Où le mariage doit-il se faire? demanda Scarpante. Est-ce ici, à Constantinople?

--Non, à Odessa.

--A quelle époque?

--Je ne sais, mais il est à craindre que, sur les instances du jeune Ahmet, il ne se fasse d'un jour à l'autre.

--Il n'y a donc pas un instant à perdre?

--Pas un!

--Où est maintenant cet Ahmet?

--A Odessa.

--Et ce Kéraban?

--A Constantinople.

--As-tu vu ce jeune homme, Yarhud, pendant le temps qui s'est écoulé entre ton arrivée à Odessa et ton départ?

--J'avais intérêt à le voir, à le connaître, Scarpante... Je l'ai vu et je le connais.

--Comment est-il?

--C'est un jeune homme fait pour plaire, et qui plaît à la fille du banquier Sélim.

--Est-il à redouter?

--On le dit très brave, très résolu, et, dans cette affaire, il faudra compter avec lui!

--Est-il indépendant par sa position, par sa fortune? demanda Scarpante, en insistant sur les divers traits du caractère de ce jeune Ahmet, qui ne laissait pas de l'inquiéter.

--Non, Scarpante, répondit Yarhud. Ahmet dépend de son oncle et tuteur, le seigneur Kéraban, qui l'aime comme un fils et qui, bientôt sans doute, doit se rendre à Odessa pour la conclusion de ce mariage.

--Ne pourrait-on retarder le départ de ce Kéraban?

--Ce serait ce qu'il y aurait de mieux à faire, et cela nous donnerait plus de temps pour agir. Quant à la manière de s'y prendre?...

--C'est à toi de l'imaginer, Yarhud, répondit Scarpante, mais il faut que les volontés du seigneur Saffar s'accomplissent et que la jeune Amasia soit transportée à Trébizonde. Ce ne sera pas la première fois que la tartane la _Guïdare_ aura visité, pour son compte, le littoral de la mer Noire, et tu sais comment il paye les services...

--Je le sais, Scarpante.

--Or, le seigneur Saffar a vu cette jeune fille, rien qu'un instant, dans son habitation d'Odessa, sa beauté l'a séduit, et elle ne sera pas à plaindre d'avoir échangé la maison du banquier Sélim pour son palais de Trébizonde! Amasia sera donc enlevée, et si ce n'est pas par toi, Yarhud, ce sera par un autre!

--Ce sera par moi, vous pouvez y compter! répondit simplement le capitaine maltais. Je vous ai dit les nouvelles mauvaises, voici maintenant quelles sont les bonnes.

--Parle, répondit Scarpante, qui, après avoir fait quelques pas en réfléchissant, revint près de Yarhud.