Un jour il demanda à être du voyage. Barbicane, désolé de refuser, lui fit comprendre que le projectile ne pouvait emporter un aussi grand nombre de passagers. J.-T. Maston, désespéré, alla trouver Michel Ardan, qui l'invita à se résigner et fit valoir des arguments _ad hominem_.
«Vois-tu, mon vieux Maston, lui dit-il, il ne faut pas prendre mes paroles en mauvaise part; mais vraiment là, entre nous, tu es trop incomplet pour te présenter dans la Lune!
--Incomplet! s'écria le vaillant invalide.
--Oui! mon brave ami! Songe au cas où nous rencontrerions des habitants là-haut. Voudrais-tu donc leur donner une aussi triste idée de ce qui se passe ici-bas, leur apprendre ce que c'est que la guerre, leur montrer qu'on emploie le meilleur de son temps à se dévorer, à se manger, à se casser bras et jambes, et cela sur un globe qui pourrait nourrir cent milliards d'habitants, et où il y en a douze cents millions à peine? Allons donc, mon digne ami, tu nous ferais mettre la porte!
--Mais si vous arrivez en morceaux, répliqua J.-T. Maston, vous serez aussi incomplets que moi!
--Sans doute, répondit Michel Ardan, mais nous n'arriverons pas en morceaux!
En effet, une expérience préparatoire, tentée le 18 octobre, avait donné les meilleurs résultats et fait concevoir les plus légitimes espérances. Barbicane, désirant se rendre compte de l'effet de contrecoup au moment du départ d'un projectile, fit venir un mortier de trente-deux pouces (-- 0.75 cm) de l'arsenal de Pensacola. On l'installa sur le rivage de la rade d'Hillisboro, afin que la bombe retombât dans la mer et que sa chute fût amortie. Il ne s'agissait que d'expérimenter la secousse au départ et non le choc à l'arrivée. Un projectile creux fut préparé avec le plus grand soin pour cette curieuse expérience. Un épais capitonnage, appliqué sur un réseau de ressorts faits du meilleur acier, doublait ses parois intérieures. C'était un véritable nid soigneusement ouaté.
«Quel dommage de ne pouvoir y prendre place!» disait J.-T. Maston en regrettant que sa taille ne lui permît pas de tenter l'aventure.
Dans cette charmante bombe, qui se fermait au moyen d'un couvercle vis, on introduisit d'abord un gros chat, puis un écureuil appartenant au secrétaire perpétuel du Gun-Club, et auquel J.-T. Maston tenait particulièrement. Mais on voulait savoir comment ce petit animal, peu sujet au vertige, supporterait ce voyage expérimental.
Le mortier fut chargé avec cent soixante livres de poudre et la bombe placée dans la pièce. On fit feu.
Aussitôt le projectile s'enleva avec rapidité, décrivit majestueusement sa parabole, atteignit une hauteur de mille pieds environ, et par une courbe gracieuse alla s'abîmer au milieu des flots.
Sans perdre un instant, une embarcation se dirigea vers le lieu de sa chute; des plongeurs habiles se précipitèrent sous les eaux, et attachèrent des câbles aux oreillettes de la bombe, qui fut rapidement hissée à bord. Cinq minutes ne s'étaient pas écoulées entre le moment où les animaux furent enfermés et le moment où l'on dévissa le couvercle de leur prison.
Ardan, Barbicane, Maston, Nicholl se trouvaient sur l'embarcation, et ils assistèrent à l'opération avec un sentiment d'intérêt facile comprendre. A peine la bombe fut-elle ouverte, que le chat s'élança au-dehors, un peu froissé, mais plein de vie, et sans avoir l'air de revenir d'une expédition aérienne. Mais d'écureuil point. On chercha. Nulle trace. Il fallut bien alors reconnaître la vérité. Le chat avait mangé son compagnon de voyage.
J.-T. Maston fut très attristé de la perte de son pauvre écureuil, et se proposa de l'inscrire au martyrologe de la science.
Quoi qu'il en soit, après cette expérience, toute hésitation, toute crainte disparurent; d'ailleurs les plans de Barbicane devaient encore perfectionner le projectile et anéantir presque entièrement les effets de contrecoup. Il n'y avait donc plus qu'à partir.
Deux jours plus tard, Michel Ardan reçut un message du président de l'Union, honneur auquel il se montra particulièrement sensible.