De l l'inégalité des jours et des nuits; de là cette diversité fâcheuse des saisons. Sur notre malheureux sphéroïde, il fait toujours trop chaud ou trop froid; on y gèle en hiver, on y brûle en été; c'est la planète aux rhumes, aux coryzas et aux fluxions de poitrine, tandis qu'à la surface de Jupiter, par exemple, où l'axe est très peu inclin [L'inclinaison de l'axe de Jupiter sur son orbite n'est que de 3 5'.], les habitants pourraient jouir de températures invariables; il y a la zone des printemps, la zone des étés, la zone des automnes et la zone des hivers perpétuels; chaque Jovien peut choisir le climat qui lui plaît et se mettre pour toute sa vie à l'abri des variations de la température. Vous conviendrez sans peine de cette supériorité de Jupiter sur notre planète, sans parler de ses années, qui durent douze ans chacune! De plus, il est évident pour moi que, sous ces auspices et dans ces conditions merveilleuses d'existence, les habitants de ce monde fortuné sont des êtres supérieurs, que les savants y sont plus savants, que les artistes y sont plus artistes, que les méchants y sont moins méchants, et que les bons y sont meilleurs. Hélas! que manque-t-il à notre sphéroïde pour atteindre cette perfection? Peu de chose! Un axe de rotation moins incliné sur le plan de son orbite.
--Eh bien! s'écria une voix impétueuse, unissons nos efforts, inventons des machines et redressons l'axe de la Terre!
Un tonnerre d'applaudissements éclata à cette proposition, dont l'auteur était et ne pouvait être que J.-T. Maston. Il est probable que le fougueux secrétaire avait été emporté par ses instincts d'ingénieur à hasarder cette hardie proposition. Mais, il faut le dire -- car c'est la vérité --, beaucoup l'appuyèrent de leurs cris, et sans doute, s'ils avaient eu le point d'appui réclamé par Archimède, les Américains auraient construit un levier capable de soulever le monde et de redresser son axe. Mais le point d'appui, voilà ce qui manquait à ces téméraires mécaniciens.
Néanmoins, cette idée «éminemment pratique» eut un succès énorme; la discussion fut suspendue pendant un bon quart d'heure, et longtemps, bien longtemps encore, on parla dans les États-Unis d'Amérique de la proposition formulée si énergiquement par le secrétaire perpétuel du Gun-Club.
XX -------------------- ATTAQUE ET RIPOSTE
CET incident semblait devoir terminer la discussion. C'était le «mot de la fin», et l'on n'eût pas trouvé mieux. Cependant, quand l'agitation se fut calmée, on entendit ces paroles prononcées d'une voix forte et sévère:
«Maintenant que l'orateur a donné une large part à la fantaisie, voudra-t-il bien rentrer dans son sujet, faire moins de théories et discuter la partie pratique de son expédition?
Tous les regards se dirigèrent vers le personnage qui parlait ainsi. C'était un homme maigre, sec, d'une figure énergique, avec une barbe taillée à l'américaine qui foisonnait sous son menton. A la faveur des diverses agitations produites dans l'assemblée, il avait peu à peu gagné le premier rang des spectateurs. Là, les bras croisés, l'oeil brillant et hardi, il fixait imperturbablement le héros du meeting. Après avoir formulé sa demande, il se tut et ne parut pas s'émouvoir des milliers de regards qui convergeaient vers lui, ni du murmure désapprobateur excité par ses paroles. La réponse se faisant attendre, il posa de nouveau sa question avec le même accent net et précis, puis il ajouta:
«Nous sommes ici pour nous occuper de la Lune et non de la Terre.
--Vous avez raison, monsieur, répondit Michel Ardan, la discussion s'est égarée. Revenons à la Lune.
--Monsieur, reprit l'inconnu, vous prétendez que notre satellite est habité. Bien. Mais s'il existe des Sélénites, ces gens-là, à coup sûr, vivent sans respirer, car -- je vous en préviens dans votre intérêt -- il n'y a pas la moindre molécule d'air à la surface de la Lune.
A cette affirmation, Ardan redressa sa fauve crinière; il comprit que la lutte allait s'engager avec cet homme sur le vif de la question. Il le regarda fixement à son tour, et dit:
«Ah! il n'a pas d'air dans la Lune! Et qui prétend cela, s'il vous plaît?
--Les savants.