Il s'agit de couler un canon mesurant neuf pieds de diamètre intérieur, six pieds d'épaisseur à ses parois et dix-neuf pieds et demi à son revêtement de pierre; c'est donc au total un puits large de soixante pieds qu'il faut creuser à une profondeur de neuf cents. Cet ouvrage considérable doit être termin en huit mois; or, vous avez deux millions cinq cent quarante-trois mille quatre cents pieds cubes de terrain à extraire en deux cent cinquante-cinq jours, soit, en chiffres ronds, dix mille pieds cubes par jour. Ce qui n'offrirait aucune difficulté pour mille ouvriers travaillant à coudées franches sera plus pénible dans un espace relativement restreint. Néanmoins, puisque ce travail doit se faire, il se fera, et je compte sur votre courage autant que sur votre habileté.
A huit heures du matin, le premier coup de pioche fut donné dans le sol floridien, et depuis ce moment ce vaillant outil ne resta plus oisif un seul instant dans la main des mineurs. Les ouvriers se relayaient par quart de journée.
D'ailleurs, quelque colossale que fût l'opération, elle ne dépassait point la limite des forces humaines. Loin de là. Que de travaux d'une difficulté plus réelle et dans lesquels les éléments durent être directement combattus, qui furent menés à bonne fin! Et, pour ne parler que d'ouvrages semblables, il suffira de citer ce _Puits du Père Joseph_, construit auprès du Caire par le sultan Saladin, à une époque où les machines n'étaient pas encore venues centupler la force de l'homme, et qui descend au niveau même du Nil, à une profondeur de trois cents pieds! Et cet autre puits creusé à Coblentz par le margrave Jean de Bade jusqu'à six cents pieds dans le sol! Eh bien! de quoi s'agissait-il, en somme? De tripler cette profondeur et sur une largeur décuple, ce qui rendrait le forage plus facile! Aussi il n'était pas un contremaître, pas un ouvrier qui doutât du succès de l'opération.
Une décision importante, prise par l'ingénieur Murchison, d'accord avec le président Barbicane, vint encore permettre d'accélérer la marche des travaux. Un article du traité portait que la Columbiad serait frettée avec des cercles de fer forgé placés à chaud. Luxe de précautions inutiles, car l'engin pouvait évidemment se passer de ces anneaux compresseurs. On renonça donc à cette clause.
De là une grande économie de temps, car on put alors employer ce nouveau système de creusement adopté maintenant dans la construction des puits, par lequel la maçonnerie se fait en même temps que le forage. Grâce à ce procédé très simple, il n'est plus nécessaire d'étayer les terres au moyen d'étrésillons; la muraille les contient avec une inébranlable puissance et descend d'elle-même par son propre poids.
Cette manoeuvre ne devait commencer qu'au moment où la pioche aurait atteint la partie solide du sol.
Le 4 novembre, cinquante ouvriers creusèrent au centre même de l'enceinte palissadée, c'est-à-dire à la partie supérieure de Stone's-Hill, un trou circulaire large de soixante pieds.
La pioche rencontra d'abord une sorte de terreau noir, épais de six pouces, dont elle eut facilement raison. A ce terreau succédèrent deux pieds d'un sable fin qui fut soigneusement retiré, car il devait servir à la confection du moule intérieur.
Après ce sable apparut une argile blanche assez compacte, semblable la marne d'Angleterre, et qui s'étageait sur une épaisseur de quatre pieds.
Puis le fer des pics étincela sur la couche dure du sol, sur une espèce de roche formée de coquillages pétrifiés, très sèche, très solide, et que les outils ne devaient plus quitter. A ce point, le trou présentait une profondeur de six pieds et demi, et les travaux de maçonnerie furent commencés.
Au fond de cette excavation, on construisit un «rouet» en bois de chêne, sorte de disque fortement boulonné et d'une solidité à toute épreuve; il était percé à son centre d'un trou offrant un diamètre égal au diamètre extérieur da la Columbiad. Ce fut sur ce rouet que reposèrent les premières assises de la maçonnerie, dont le ciment hydraulique enchaînait les pierres avec une inflexible ténacité.