Jules Verne

--Mais impraticable, répondit Barbicane. Non, je songe à couler cet engin dans le sol même, à le fretter avec des cercles de fer forgé, et enfin à l'entourer d'un épais massif de maçonnerie à pierre et chaux, de telle façon qu'il participe de toute la résistance du terrain environnant. Une fois la pièce fondue, l'âme sera soigneusement alésée et calibrée, de manière à empêcher le vent [C'est l'espace qui existe quelquefois entre le projectile et l'âme de la pièce.] du boulet; ainsi il n'y aura aucune déperdition de gaz, et toute la force expansive de la poudre sera employée à l'impulsion.

--Hurrah! hurrah! fit J.-T. Maston, nous tenons notre canon.

--Pas encore! répondit Barbicane en calmant de la main son impatient ami.

--Et pourquoi?

--Parce que nous n'avons pas discuté sa forme. Sera-ce un canon, un obusier ou un mortier?

--Un canon, répliqua Morgan.

--Un obusier, repartit le major.

--Un mortier!» s'écria J.-T. Maston.

Une nouvelle discussion assez vive allait s'engager, chacun préconisant son arme favorite, lorsque le président l'arrêta net.

«Mes amis, dit-il, je vais vous mettre tous d'accord; notre Columbiad tiendra de ces trois bouches à feu à la fois. Ce sera un canon, puisque la chambre de la poudre aura le même diamètre que l'âme. Ce sera un obusier, puisqu'il lancera un obus. Enfin, ce sera un mortier, puisqu'il sera braqué sous un angle de quatre-vingt-dix degrés, et que, sans recul possible, inébranlablement fixé au sol, il communiquera au projectile toute la puissance d'impulsion accumulée dans ses flancs.

--Adopté, adopté, répondirent les membres du Comité.

--Une simple réflexion, dit Elphiston, ce can-obuso-mortier sera-t-il rayé?

--Non, répondit Barbicane, non; il nous faut une vitesse initiale énorme, et vous savez bien que le boulet sort moins rapidement des canons rayés que des canons à âme lisse.

--C'est juste.

--Enfin, nous le tenons, cette fois! répéta J.-T. Maston.

--Pas tout à fait encore, répliqua le président.

--Et pourquoi?

--Parce que nous ne savons pas encore de quel métal il sera fait.

--Décidons-le sans retard.

--J'allais vous le proposer.

Les quatre membres du Comité avalèrent chacun une douzaine de sandwiches suivis d'un bol de thé, et la discussion recommença.

«Mes braves collègues, dit Barbicane, notre canon doit être d'une grande ténacité, d'une grande dureté, infusible à la chaleur, indissoluble et inoxydable à l'action corrosive des acides.

--Il n'y a pas de doute à cet égard, répondit le major, et comme il faudra employer une quantité considérable de métal, nous n'aurons pas l'embarras du choix.

--Eh bien! alors, dit Morgan, je propose pour la fabrication de la Columbiad le meilleur alliage connu jusqu'ici, c'est-à-dire cent parties de cuivre, douze parties d'étain et six parties de laiton.

--Mes amis, répondit le président, j'avoue que cette composition a donné des résultats excellents; mais, dans l'espèce, elle coûterait trop cher et serait d'un emploi fort difficile. Je pense donc qu'il faut adopter une matière excellente, mais à bas prix, telle que la fonte de fer. N'est-ce pas votre avis, major?

--Parfaitement, répondit Elphiston.

--En effet, reprit Barbicane, la fonte de fer coûte dix fois moins que le bronze; elle est facile à fondre, elle se coule simplement dans des moules de sable, elle est d'une manipulation rapide; c'est donc à la fois économie d'argent et de temps. D'ailleurs, cette matière est excellente, et je me rappelle que pendant la guerre, au siège d'Atlanta, des pièces en fonte ont tiré mille coups chacune de vingt minutes en vingt minutes, sans en avoir souffert.

--Cependant, la fonte est très cassante, répondit Morgan.

--Oui, mais très résistante aussi; d'ailleurs, nous n'éclaterons pas, je vous en réponds.

--On peut éclater et être honnête, répliqua sentencieusement J.-T. Maston.

--Évidemment, répondit Barbicane. Je vais donc prier notre digne secrétaire de calculer le poids d'un canon de fonte long de neuf cents pieds, d'un diamètre intérieur de neuf pieds, avec parois de six pieds d'épaisseur.