Jules Verne

Le calcul démontre que cette vitesse est suffisante. A mesure que l'on s'éloigne de la Terre, l'action de la pesanteur diminue en raison inverse du carré des distances, c'est-à-dire que, pour une distance trois fois plus grande, cette action est neuf fois moins forte. En conséquence, la pesanteur du boulet décroîtra rapidement, et finira par s'annuler complètement au moment où l'attraction de la Lune fera équilibre à celle de la Terre, c'est-à-dire aux quarante-sept cinquante-deuxièmes du trajet. En ce moment, le projectile ne pèsera plus, et, s'il franchit ce point, il tombera sur la Lune par l'effet seul de l'attraction lunaire. La possibilité théorique de l'expérience est donc absolument démontrée; quant à sa réussite, elle dépend uniquement de la puissance de l'engin employé.

«Sur la deuxième question: --Quelle est la distance exacte qui sépare la Terre de son satellite?

«La Lune ne décrit pas autour de la Terre une circonférence, mais bien une ellipse dont notre globe occupe l'un des foyers; de là cette conséquence que la Lune se trouve tantôt plus rapprochée de la Terre, et tantôt plus éloignée, ou, en termes astronomiques, tantôt dans son apogée, tantôt dans son périgée. Or, la différence entre sa plus grande et sa plus petite distance est assez considérable, dans l'espèce, pour qu'on ne doive pas la négliger. En effet, dans son apogée, la Lune est à deux cent quarante-sept mille cinq cent cinquante-deux milles (--99,640 lieues de 4 kilomètres), et dans son périgée à deux cent dix-huit mille six cent cinquante-sept milles seulement (-- 88,010 lieues), ce qui fait une différence de vingt-huit mille huit cent quatre-vingt-quinze milles (-- 11,630 lieues), ou plus du neuvième du parcours. C'est donc la distance périgéenne de la Lune qui doit servir de base aux calculs.

«Sur la troisième question: --Quelle sera la durée du trajet du projectile auquel aura été imprimée une vitesse initiale suffisante, et, par conséquent, à quel moment devra-t-on le lancer pour qu'il rencontre la Lune en un point déterminé?

«Si le boulet conservait indéfiniment la vitesse initiale de douze mille yards par seconde qui lui aura été imprimée à son départ, il ne mettrait que neuf heures environ à se rendre à sa destination; mais comme cette vitesse initiale ira continuellement en décroissant, il se trouve, tout calcul fait, que le projectile emploiera trois cent mille secondes, soit quatre-vingt-trois heures et vingt minutes, pour atteindre le point où les attractions terrestre et lunaire se font équilibre, et de ce point il tombera sur la Lune en cinquante mille secondes, ou treize heures cinquante-trois minutes et vingt secondes. Il conviendra donc de le lancer quatre-vingt-dix-sept heures treize minutes et vingt secondes avant l'arrivée de la Lune au point visé.

«Sur la quatrième question: -- A quel moment précis la Lune se présentera-t-elle dans la position la plus favorable pour être atteinte par le projectile?

«D'après ce qui vient d'être dit ci-dessus, il faut d'abord choisir l'époque où la Lune sera dans son périgée, et en même temps le moment où elle passera au zénith, ce qui diminuera encore le parcours d'une distance égale au rayon terrestre, soit trois mille neuf cent dix-neuf milles; de telle sorte que le trajet définitif sera de deux cent quatorze mille neuf cent soixante-seize milles (--86,410 lieues). Mais, si chaque mois la Lune passe à son périgée, elle ne se trouve pas toujours au zénith à ce moment. Elle ne se présente dans ces deux conditions qu'à de longs intervalles. Il faudra donc attendre la coïncidence du passage au périgée et au zénith. Or, par une heureuse circonstance, le 4 décembre de l'année prochaine, la Lune offrira ces deux conditions: à minuit, elle sera dans son périgée, c'est-à-dire sa plus courte distance de la Terre, et elle passera en même temps au zénith.

«Sur la cinquième question: --Quel point du ciel devra-t-on viser avec le canon destiné à lancer le projectile?

«Les observations précédentes étant admises, le canon devra être braqué sur le zénith [Le zénith est le point du ciel situ verticalement au-dessus de la tête d'un observateur.] du lieu; de la sorte, le tir sera perpendiculaire au plan de l'horizon, et le projectile se dérobera plus rapidement aux effets de l'attraction terrestre.