--Bon! qu'est-ce que cela pour un chasseur africain qui voit passer tous les animaux de la création au bout de son fusil? Tiens! tiens! regarde cette troupe de girafes!
--Ça, des girafes! fit Joe. elles sont grosses comme le poing!
--Parce que nous sommes à mille pieds au-dessus d'elles; mais, de près, tu verrais qu'elles ont trois fois ta hauteur.
--Et que dis-tu de ce troupeau de gazelles? reprit Kennedy, et ces autruches qui fuient avec la rapidité du vent?
--Ça! des autruches! fit Joe, ce sont des poules, tout ce qu'il y a de plus poules!
--Voyons, Samuel, ne peut-on s'approcher?
--On peut s'approcher, Dick, mais non prendre terre A quoi bon, dès lors, frapper ces animaux qui ne te seront d'aucune utilité? S'il s'agissait de détruire un lion, un chat-tigre, une hyène, je le comprendrais; ce serait toujours une bête dangereuse de moins; mais une antilope, une gazelle, sans autre profit que la vaine satisfaction de tes instincts de chasseur, cela n'en vaut vraiment pas la peine. Après tout, mon ami, nous allons nous maintenir à cent pieds du sol, et si tu distingues quelque animal féroce, tu nous feras plaisir en lui envoyant une balle dans le cœur. »
Le Victoria descendit peu à peu, et se maintint néanmoins à une hauteur rassurante. Dans cette contrée sauvage et très peuplée, il fallait se défier de périls inattendus.
Les voyageurs suivaient directement alors le cours du Shari; les bords charmants de ce fleuve disparaissaient sous les ombrages d'arbres aux nuances variées; des lianes et des plantes grimpantes serpentaient de toutes parts et produisaient de curieux enchevêtrements de couleurs. Les crocodiles s'ébattaient en plein soleil ou plongeaient sous les eaux avec une vivacité de lézard; en se jouant, ils accostaient les nombreuses îles vertes qui rompaient le courant du fleuve.
Ce fut ainsi, au milieu d'une nature riche et verdoyante, que passa le district de Maffatay. Vers neuf heures du matin, le docteur Fergusson et ses amis atteignaient enfin la rive méridionale du lac Tchad.
C'était donc là cette Caspienne de l'Afrique, dont l'existence fut si longtemps reléguée au rang des fables, cette mer intérieure à laquelle parvinrent seulement les expéditions de Denham et de Barth.
Le docteur essaya d'en fixer la configuration actuelle, bien différente déjà de celle de 1847; en effet, la carte de ce lac est impossible à tracer; il est entouré de marais fangeux et presque infranchissables, dans lesquels Barth pensa périr; d'une année à l'autre, ces marais, couverts de roseaux et de papyrus de quinze pieds, deviennent le lac lui-même; souvent aussi, les villes étalées sur ses bords sont à demi submergées, comme il arriva à Ngornou en 1856, et maintenant les hippopotames et les alligators plongent aux lieux mêmes où s'élevaient les habitations du Bornou.
Le soleil versait ses rayons éblouissants sur cette eau tranquille, et au nord les deux éléments se confondaient dans un même horizon.
Le docteur voulut constater la nature de l'eau, que longtemps on crut salée; il n'y avait aucun danger à s'approcher de la surface du lac, et la nacelle vint le raser comme un oiseau à cinq pieds de distance.
Joe plongea une bouteille, et la ramena à demi pleine; cette eau fut goûtée et trouvée peu potable, avec un certain goût de natron.
Tandis que le docteur inscrivait le résultat de son expérience, un coup de fusil éclata à ses côtés Kennedy n'avait pu résister au désir d'envoyer une balle à un monstrueux hippopotame; celui-ci, qui respirait tranquillement, disparut au bruit de la détonation, et la balle conique du chasseur ne parut pas le troubler autrement.
« Il aurait mieux valu le harponner, dit Joe.
--Et comment!
--Avec une de nos ancres. C'eût été un hameçon convenable pour un pareil animal.
--Mais, dit Kennedy, Joe a vraiment une idée..
--Que je vous prie de ne pas mettre à exécution! répliqua le docteur. L'animal nous aurait vite entraînés où nous n'avons que faire.
--Surtout maintenant que nous sommes fixés sur la qualité de l'eau du Tchad.