--Rationne-nous, répondit le chasseur; mais il n'est pas encore temps de se désespérer; nous avons trois jours devant nous, dis-tu?
--Oui, mon cher Dick.
--Eh bien! comme nos regrets ne sauraient qu'y faire, dans trois jours il sera temps de prendre un parti; jusque-là redoublons de vigilance. »
Au repas du soir, l'eau fut donc strictement mesurée; la quantité d'eau-de-vie s'accrut dans les grogs; mais il fallait se défier de cette liqueur plus propre à altérer qu'à rafraîchir.
La nacelle reposa pendant la nuit sur un immense plateau qui présentait une forte dépression. Sa hauteur était à peine de huit cents pieds au-dessus du niveau de la mer. Cette circonstance rendit quelque espoir au docteur; elle lui rappela les présomptions des géographes sur l'existence d'une vaste étendue d'eau au centre de l'Afrique. Mais, si ce lac existait, il y fallait parvenir; or, pas un changement ne se faisait dans le ciel immobile.
A la nuit paisible, à sa magnificence étoilée, succédèrent le jour immuable et les rayons ardents du soleil; dès ses premières lueurs, la température devenait brûlante. A cinq heures du matin, le docteur donna le signal du départ, et pendant un temps, assez long le Victoria demeura sans mouvement dans une atmosphère de plomb.
Le docteur aurait pu échapper à cette chaleur intense en s'élevant dans des zones supérieures; mais il fallait dépenser une plus grande quantité d'eau, chose impossible alors. Il se contenta donc de maintenir son aérostat à cent pieds du sol; là, un courant faible le poussait vers l'horizon occidental.
Le déjeuner se composa d'un peu de viande séchée et de pemmican. Vers midi, le Victoria avait à peine fait quelques milles.
« Nous ne pouvons aller plus vite, dit le docteur. Nous ne commandons pas, nous obéissons.
--Ah! mon cher Samuel, dit le chasseur, voilà une de ces occasions où un propulseur ne serait pas à dédaigner.
--Sans doute, Dick, en admettant toutefois qu'il ne dépensât pas d'eau pour se mettre en mouvement, car alors la situation serait exactement la même; jusqu'ici, d'ailleurs, on n'a rien inventé qui fût praticable. Les ballons en sont encore au point où se trouvaient les navires avant l'invention de la vapeur On a mis six mille ans à imaginer les aubes et les hélices; nous avons donc le temps d'attendre.
--Maudite chaleur! fit Joe en essuyant son front ruisselant.
--Si nous avions de l'eau, cette chaleur nous rendrait quelque service, car elle dilate l'hydrogène de l'aérostat et nécessite une: flamme moins forte dans le serpentin. Il est vrai que si nous n'étions pas à bout de liquide, nous n'aurions pas à l'économiser. Ah! maudit sauvage qui nous a coûté cette précieuse caisse!
--Tu ne regrettes pas ce que tu as fait, Samuel?
--Non, Dick, puisque nous avons pu soustraire cet infortuné à une mort horrible. Mais les cent livres d'eau que nous avons jetées nous seraient bien utiles; c'étaient encore douze ou treize jours de marche assurés, et de quoi traverser certainement ce désert.
--Nous avons fait au moins la moitié du voyage? demanda Joe.
--Comme distance, oui; comme durée, non, si le vent nous abandonne. Or il a une tendance à diminuer tout à fait.
--Allons, Monsieur, reprit Joe, il ne faut pas nous plaindre; nous nous en sommes assez bien tirés jusqu'ici, et, quoi que je fasse, il m'est impossible de me désespérer. Nous trouverons de l'eau, c'est moi qui vous le dis.
Le sol, cependant, se déprimait de mille en mille; les ondulations des montagnes aurifères venaient mourir sur la plaine; c'étaient les derniers ressauts d'une nature épuisée. Les herbes éparses remplaçaient les beaux arbres de l'est; quelques bandes d'une verdure altérée luttaient encore contre l'envahissement des sables; les grandes roches tombées des sommets lointains, écrasées dans leur chute, s'éparpillaient en cailloux aigus, qui bientôt se feraient sable grossier, puis poussière impalpable.
« Voici l'Afrique, telle que tu te la représentais, Joe; j'avais raison de te dire: Prends patience!
--Eh bien, Monsieur, répliqua Joe, voilà qui est naturel, au moins! de la chaleur et du sable! il serait absurde de rechercher autre chose dans un pareil pays.