--C'est possible; mais il faut prendre ses précautions.
--Joe et moi, dit Kennedy, nous allons descendre dans l'arbre par l'échelle.
--Et pendant ce temps, répartit le docteur, je prendrai mes mesures de manière à pouvoir nous enlever rapidement.
--C'est convenu.
--Descendons, dit Joe.
--Ne vous servez de vos armes qu'à la dernière extrémité, dit le docteur; il est inutile de révéler notre présence dans ces parages. »
Dick et Joe répondirent par un signe. Ils se laissèrent glisser sans bruit vers l'arbre, et prirent position sur une fourche de fortes branches que l'ancre avait mordue.
Depuis quelques minutés, ils écoutaient muets et immobiles dans le feuillage. A un certain froissement d'écorce qui se produisit, Joe saisit la main de l'Écossais.
« N'entendez-vous pas?
--Oui, cela approche.
--Si c'était un serpent? Ce sifflement que vous avez surpris...
--Non! il avait quelque chose d'humain.
--J'aime encore mieux des sauvages, se dit Joe. Ces reptiles me répugnent.
--Le bruit augmente, reprit Kennedy, quelques instants après.
--Oui! on monte, on grimpe.
--Veille de ce côté, je me charge de l'autre.
--Bien. »
Ils se trouvaient tous les deux isolés au sommet d'une maîtresse branche, poussée droit au milieu de cette forêt qu'on appelle un baobab; l'obscurité accrue par l'épaisseur du feuillage était profonde; cependant Joe, se penchant à l'oreille de Kennedy et lui indiquant la partie inférieure de l'arbre, dit:
« Des nègres. »
Quelques mots échangés à voix basse parvinrent même jusqu'aux deux voyageurs.
Joe épaula son fusil.
« Attends, » dit Kennedy.
Des sauvages avaient en effet escaladé le baobab; ils surgissaient de toutes parts, se coulant sur les branches comme des reptiles, gravissant lentement, mais sûrement; ils se trahissaient alors par les émanations de leurs corps frottés d'une graisse infecte.
Bientôt deux têtes apparurent aux regards de Kennedy et de Joe, au niveau même de la branche qu'ils occupaient.
« Attention, dit Kennedy, feu! »
La double détonation retentit comme un tonnerre, et s'éteignit au milieu des cris de douleur. En un moment, toute la horde avait disparu.
Mais, au milieu des hurlements, il s'était produit un cri étrange, inattendu, impossible! Une voix humaine avait manifestement proféré ces mots en français:
« A moi! à moi! »
Kennedy et Joe, stupéfaits, regagnèrent la nacelle au plus vite.
Avez-vous entendu? leur dit le docteur.
--Sans doute! ce cri surnaturel: A moi! à moi!
--Un Français aux mains de ces barbares!
--Un voyageur!
--Un missionnaire, peut-être!
--Le malheureux, s'écria le chasseur? on l'assassine, on le martyrise! »
Le docteur cherchait vainement à déguiser son émotion.
« On ne peut en douter, dit-il. Un malheureux Français est tombé entre les mains de ces sauvages Mais nous ne partirons pas sans avoir fait tout au monde pour le sauver. A nos coups de fusil, il aura reconnu un secours inespéré, une intervention providentielle. Nous ne mentirons pas à cette dernière espérance. Est-ce votre avis?
--C'est notre avis, Samuel, et nous sommes prêts à t'obéir.
--Combinons donc nos manœuvres, et dès le matin, nous chercherons à l'enlever.
--Mais comment écarterons-nous ces misérables nègres? Demanda Kennedy.
--Il est évident pour moi, dit le docteur, à la manière dont ils ont déguerpi, qu'ils ne connaissent pas les armes à feu; nous devrons donc profiter de leur épouvante; mais il faut attendre le jour avant d'agir, et nous formerons notre plan de sauvetage d'après la disposition des lieux.
Ce pauvre malheureux ne doit pas être loin, dit Joe, car...
--A moi! à moi! répéta la voix plus affaiblie.
--Les barbares! s'écria Joe palpitant. Mais s'ils le tuent cette nuit?
--Entends-tu, Samuel, reprit Kennedy en saisissant la main du docteur, s'ils le tuent cette nuit?
--Ce n'est pas probable, mes amis; ces peuplades sauvages font mourir leurs prisonniers au grand jour; il leur faut du soleil!
--Si je profitais de la nuit, dit l'Écossais, pour me glisser vers ce malheureux?
--Je vous accompagne, Monsieur Dick
--Arrêtez mes amis! arrêtez! Ce dessein fait honneur à votre cœur et à votre courage; mais vous nous exposeriez tous, et vous nuiriez plus encore à celui que nous voulons sauver.