Jules Verne

L'origine de son nom a passionné les savants comme l'origine de ses eaux; on l'a fait venir du grec, du copte, du sanscrit [Un savant byzantin voyait dans Neilos un nom arithmétique. N représentait 50, E 5, I 10, L 30, O 70, S 200: ce qui fait le nombre des jours de l'année]; peu importe, après tout, puisqu'il a dû livrer enfin le secret de ses sources!

--Mais, dit le chasseur, comment s'assurer de l'identité de cette rivière et de celle que les voyageurs du nord ont reconnue!

--Nous aurons des preuves certaines, irrécusables, infaillibles, répondit Fergusson, si le vent nous favorise une heure encore. »

Les montagnes se séparaient, faisant place à des villages nombreux, à des champs cultivés de sésame, de dourrah, de cannes à sucre. Les tribus de ces contrées se montraient agitées, hostiles; elles semblaient plus près de la colère que de l'adoration; elles pressentaient des étrangers, et non des dieux. Il semblait qu'en remontant aux sources du Nil on vint leur voler quelque chose Le Victoria dut se tenir hors de la portée des mousquets.

Aborder ici sera difficile, dit l'Ecossais.

--Eh bien! répliqua Joe, tant pis pour ces indigènes; nous les priverons du charme de notre conversation.

--Il faut pourtant que je descende, répondit le docteur Fergusson, ne fût-ce qu'un quart d'heure. Sans cela, je ne puis constater les résultats de notre exploration.

--C'est donc indispensable, Samuel?

--Indispensable, et nous descendrons, quand même nous devrions faire le coup de fusil!

--La chose me va, répondit Kennedy en caressant sa carabine.

--Quand vous voudrez, mon maître, dit Joe en se préparant au combat.

Ce ne sera pas la première fois, répondit le docteur, que l'on aura fait de la science les armes à la main; pareille chose est arrivée à un savant français, dans les montagnes d'Espagne, quand il mesurait le méridien terrestre.

--Sois tranquille, Samuel, et fie-toi à tes deux gardés du corps.

--Y sommes-nous, Monsieur?

--Pas encore. Nous allons même nous élever pour saisir la configuration exacte du pays. »

L'hydrogène se dilata, et, en moins de dix minutes, le Victoria planait à une hauteur de deux mille cinq cents pieds au-dessus du sol.

On distinguait de là un inextricable réseau de rivières que le fleuve recevait dans son lit; il en venait davantage de l'ouest, entre les collines nombreuses, au milieu de campagnes fertiles.

« Nous ne sommes pas à quatre-vingt-dix milles de Gondokoro, dit le docteur en pointant sa tête, et à moins de cinq milles du point atteint par les explorateurs venus du nord. Rapprochons-nous de terre avec précaution. »

Le Victoria s'abaissa de plus de deux mille pieds.

« Maintenant, mes amis, soyez prêts à tout hasard.

--Nous sommes prêts, répondirent Dick et Joe.

--Bien! »

Le Victoria marcha bientôt en suivant le lit du fleuve, et à cent pied peine. Le Nil mesurait cinquante toises en cet endroit, et les indigène s'agitaient tumultueusement dans les villages qui bordaient ses rives. Au deuxième degré, il forme une cascade à pic de dix pieds de hauteur environ, et par conséquent infranchissable.

« Voilà bien la cascade indiquée par M. Debono, » s'écria le docteur.

Le bassin du fleuve s'élargissait, parsemé d'îles nombreuses que Samuel Fergusson dévorait du regard; il semblait chercher un point de repère qu'il n'apercevait pas encore.

Quelques nègres s'étant avancés dans une barque au-dessous du ballon, Kennedy les salua d'un coup de fusil, qui, sans les atteindre, les obligea à regagner la rive au plus vite.

« Bon voyage! leur souhaita Joe; à leur place, je ne me hasardera pas à revenir! j'aurais singulièrement peur d'un monstre qui lance la foudre à volonté. »

Mais voici que le docteur Fergusson saisit soudain sa lunette et la braqua vers une île couchée au milieu du fleuve.

Quatre arbres! s'écria-t-il; voyez, là-bas! »

En effet, quatre arbres isolés s'élevaient à son extrémité.

C'est l'île de Benga! c'est bien elle! ajouta-t-il.

--Eh bien, après? demanda Dick.

--C'est là que nous descendrons, s'il plaît à Dieu!

--Mais elle paraît habitée, Monsieur Samuel!

--Joe a raison; si je ne me trompe, voilà un rassemblement d'une vingtaine d'indigènes.