Jules Verne

--Mais, mon maître, ne feriez-vous pas bien de prendre du repos vous même, puisque rien ne nous menace encore!

--Non, merci, mon garçon je préfère veiller. Nous sommes immobiles, et si les circonstances ne changent pas, demain nous nous trouverons exactement à la même place.

--Bonsoir, Monsieur.

--Bonne nuit, si c'est possible. »

Kennedy et Joe s'allongèrent sous leurs couvertures, et le docteur demeura seul dans l'immensité. Cependant le dôme de nuages s'abaissait insensiblement, et l'obscurité se faisait profonde. La voûte noire s'arrondissait autour du globe terrestre comme pour l'écraser.

Tout d'un coup un éclair violent, rapide, incisif, raya l'ombre; sa déchirure n'était pas refermée qu'un effrayant éclat de tonnerre ébranlait le profondeurs du ciel.

« Alerte!» s'écria Fergusson.

Les deux dormeurs, réveillés à ce bruit épouvantable, se tenaient à ses ordres.

« Descendons-nous? fit Kennedy.

--Non! le ballon n'y résisterait pas. Montons avant que ces nuages se résolvent en eau et que le vent ne se déchaîne! »

Et il poussa activement la flamme du chalumeau dans les spirales du serpentin.

Les orages des tropiques se développent avec une rapidité comparable à leur violence. Un second éclair déchira la nue, et fut suivi de vin autres immédiats. Le ciel était zébré d'étincelles électriques qui grésillaient sous les larges gouttes de la pluie.

« Nous nous sommes attardés, dit le docteur. Il nous faut maintenant traverser une zone le feu avec notre ballon rempli d'air inflammable!

--Mais à terre! à terre! reprenait toujours Kennedy.

--Le risque d'être foudroyé serait presque le même, et nous serions vite déchirés aux branches des arbres!

--Nous montons, monsieur Samuel!

--Plus vite! plus vite encore. »

Dans cette partie de l'Afrique, pendant les orages équatoriaux, il n'est pas rare de compter de trente-cinq éclairs par minute Le ciel est littéralement en feu, et les éclats du tonnerre ne discontinuent pas.

Le vent se déchaînait avec une violence effrayante dans cette atmosphère embrasée; il tordait les nuages incandescents; on eut dit le souffle d'un ventilateur immense qui activait tout cet incendie.

Le docteur Fergusson maintenait son chalumeau à pleine chaleur; le ballon se dilatait et montait; à genoux, au centre de la nacelle, Kennedy retenait les rideaux de la tente Le ballon tourbillonnait à donner le vertige, et les voyageurs subissaient d'inquiétantes oscillations. Il se faisait de grandes cavités dans l'enveloppe de l'aérostat; le vent s'y engouffrait avec violence, et le taffetas détonait sous sa pression. Une sorte de grêle, précédée d'un bruit tumultueux, sillonnait l'atmosphère et crépitait sur le Victoria. Celui-ci, cependant, continuait sa marche ascensionnelle; les éclairs dessinaient des tangentes enflammées à sa circonférence; il était plein feu.

« A la garde de Dieu! dit le docteur Fergusson; nous sommes entre ses mains lui seul peut nous sauver. Préparons-nous à tout événement, même à un incendie; notre chute peut n'être pas rapide. »

La voix du docteur parvenait à peine à l'oreille de ses compagnons; mais ils pouvaient voir sa figure calme au milieu du sillonnement des éclairs; il regardait les phénomènes de phosphorescence produits par le feu Saint-Elme qui voltigeait sur le filet de l'aérostat.

Celui-ci tournoyait, tourbillonnait, mais il montait toujours; au bout d'un quart d'heure, il avait dépassé la zone des nuages orageux, les effluences électriques se développaient au-dessous de lui, comme une vaste couronne de feux d'artifices suspendus à sa nacelle.

C'était là l'un des plus beaux spectacles que la nature put donner à l'homme. En bas, l'orage. En haut le ciel étoilé, tranquille, muet, impassible, avec la lune projetant ses paisibles rayons sur ces nuages irrités.

Le docteur Fergusson consulta le baromètre; il donna douze mille pieds d'élévation. Il était onze heures du soir.

« Grâce au ciel, tout danger est passé, dit-il; il nous suffit de nous maintenir à cette hauteur.

C'était effrayant! répondit Kennedy.