Comme on craignait quelques démonstrations contre la personne du docteur et de ses compagnons, ils couchèrent tous les trois à bord du Resolute. A six heures du matin, ils quittaient leur cabine et se rendaient à l'île de Koumbeni.
Le ballon se balançait légèrement au souffle du vent de l'est. Les sacs de terre qui le retenaient avaient été remplacés par vingt matelots. Le commandant Pennet et ses officiers assistaient à ce départ solennel.
En ce moment, Kennedy alla droit au docteur, lui prit la main et dit:
« Il est bien décidé, Samuel, que tu pars? Cela est très décidé, mon cher Dick.
--J'ai bien fait tout ce qui dépendait de moi pour empêcher ce voyage?
--'Tout.
---Alors j'ai la conscience tranquille à cet égard, et je t'accompagne.
--J'en étais sûr, » répondit le docteur, en laissant voir sur ses traits une rapide émotion.
L'instant des derniers adieux arrivait. Le commandant et ses officiers embrassèrent avec effusion leurs intrépides amis, sans en excepter le digne Joe, fier et joyeux. Chacun des assistants voulut prendre sa part des poignées de main du docteur Fergusson.
A neuf heures, les trois compagnons de route prirent place dans la nacelle: le docteur alluma son chalumeau et poussa la flamme de manière à produire une chaleur rapide. Le ballon, qui se maintenait à terre en parfait équilibre, commença à se soulever au bout de quelques minutes. Les matelots durent filer un peu des cordes qui le retenaient. La nacelle s'éleva d'une vingtaine de pieds.
« Mes amis, s'écria le docteur debout entre ses deux compagnons et ôtant son chapeau, donnons à notre navire aérien un nom qui lui porte bonheur! qu'il soit baptisé le Victoria! »
Un hourra formidable retentit:
«Vive la reine! Vive l'Angleterre!»
En ce moment, la force ascensionnelle de l'aérostat s'accroissait prodigieusement. Fergusson, Kennedy et Joe lancèrent un dernier adieu à leur amis.
« Lâchez tout! s'écria le docteur. »
Et le Victoria s'éleva rapidement dans les airs, tandis que les quatre caronades du Resolute tonnaient en son honneur.
CHAPITRE XII
Traversée du détroit.--Le Mrima.--Propos de Dick et proposition de Joe.--Recette pour le café.--L'Uzaramo.--L'infortuné Maizan.--Le mont Duthumi.--Les cartes du docteur--Nuit sur un nopal.
L'air était pur, le vent modéré; le Victoria monta presque perpendiculairement à une hauteur de 1,500 pieds, qui fut indiquée par une dépression de 2 pouces moins 2 lignes [Environ cinq centimètres. La dépression est à peu prés d'un centimètre par cent mètres d'élévation] dans la colonne barométrique.
A cette élévation, un courant plus marqué porta le ballon vers le sudouest. Quel magnifique spectacle se déroulait aux yeux des voyageurs! L'île de Zanzibar s'offrait tout entière à la vue et se détachait en couleur plus foncée, comme sur un vaste planisphère; les champs prenaient une apparence d'échantillons de diverses couleurs; de gros bouquets d'arbres indiquaient les bois et les taillis.
Les habitants de l'île apparaissaient comme des insectes. Les hourras et les cris s'éteignaient peu à peu dans l'atmosphère, et les coups de canon du navire vibraient seuls dans la concavité inférieure de l'aérostat.
« Que tout cela est beau! »s'écria Joe en rompant le silence pour la première fois.
Il n'obtint pas de réponse. Le docteur s'occupait d'observer les variations barométriques et de prendre note des divers détails de son ascension.
Kennedy regardait et n'avait pas assez d'yeux pour tout voir.
Les rayons du soleil venant en aide au chalumeau, la tension du gaz augmenta. Le Victoria atteignit une hauteur de 2,500 pieds.
Le Resolute apparaissait sous l'aspect d'une simple barque, et la côte africaine apparaissait dans l'ouest par une immense bordure d'écume.
« Vous ne parlez pas? fit Joe.
--Nous regardons, répondit le docteur en dirigeant sa lunette vers le continent.
--Pour mon compte, il faut que je parle.
--A ton aise! Joe, parle tant qu'il te plaira. »
Et Joe fit à lui seul une terrible consommation d'onomatopées.