Jules Verne

--Il y a cependant, répliqua-t-on, de grands rapports entre un aérostat et un navire, que l'on dirige à volonté.

Mais non, répondit le docteur Fergusson, il y en a peu ou point. L'air est infiniment moins dense que l'eau, dans laquelle le navire n'est submergé qu'à moitié, tandis que l'aérostat plonge tout entier dans l'atmosphère, et reste immobile par rapport au fluide environnant.

--Vous pensez alors que la science aérostatique a dit son dernier mot?

--Non pas! non pas! Il faut chercher autre chose, et, si l'on ne peut diriger un ballon, le maintenir au moins dans les courants atmosphériques favorables. A mesure que l'on s'élève, ceux-ci deviennent beaucoup plus uniformes, et sont constants dans leur direction; ils ne sont plus troublés par les vallées et les montagnes qui sillonnent la surface du globe, et là, vous le savez, est la principale cause des changements du vent et de l'inégalité de son souffle. Or, une fois ces zones déterminées, le ballon n'aura qu'à se placer dans les courants qui lui conviendront.

--Mais alors, reprit le commandant Pennet, pour les atteindre, il faudra constamment monter ou descendre. Là est la vraie difficulté, mon cher docteur.

--Et pourquoi, mon cher commandant?

--Entendons-nous: ce ne sera une difficulté et un obstacle que pour les voyages de long cours, et non pas pour les simples promenades aériennes.

--Et la raison, s'il vous plaît?

--Parce que vous ne montez qu'à la condition de jeter du lest, vous ne descendez qu'à la condition de perdre du gaz, et à ce manège-là, vos provisions de gaz et de lest seront vite épuisées.

--Mon cher Pennet, là est toute la question. Là est la seule difficulté que la science doive tendre à vaincre. Il ne s'agit pas de diriger les ballons; il s'agit de les mouvoir de haut en bas, sans dépenser ce gaz qui est sa force, son sang, son âme, si l'on peut s'exprimer ainsi.

--Vous avez raison, mon cher docteur, mais cette difficulté n'est pas encore résolue, ce moyen n'est pas encore trouvé.

--Je vous demande pardon, il est trouvé.

--Par qui?

--Par moi!

--Par vous?

--Vous comprenez bien que, sans cela, je n'aurais pas risqué cette traversée de l'Afrique en ballon. Au bout de vingt-quatre heures, j'aurais été à sec de gaz!

--Mais vous n'avez pas parlé de cela en Angleterre!

--Non. Je ne tenais pas à me faire discuter en public. Cela me paraissait inutile. J'ai fait en secret des expériences préparatoires, et j'ai été satisfait; je n'avais donc pas besoin d'en apprendre davantage.

--Eh bien! mon cher Fergusson, peut-on vous demander votre secret?

--Le voici, Messieurs, et mon moyen est bien simple. »

L'attention de l'auditoire fut portée au plus haut point, et le docteur prit tranquillement la parole en ces termes:

CHAPITRE X

Essais antérieurs.--Les cinq caisses du docteur.--Le chalumeau à gaz.--Le calorifère.--Manière de manœuvrer.--Succès certain.

« On a tenté souvent, Messieurs, de s'élever ou de descendre à volonté, sans perdre le gaz ou le lest d'un ballon Un aéronaute français, M. Meunier, voulait atteindre ce but en comprimant de l'air dans une capacité intérieure Un belge, M le docteur van Hecke, au moyen d'ailes et de palettes, déployait une force verticale qui eut été insuffisante dans la plupart des cas. Les résultats pratiques obtenus par ses divers moyens ont été insignifiants.

« J'ai donc résolu d'aborder la question plus franchement. Et d'abord je supprime complètement le lest, si ce n'est pour les cas de force majeure, tels que la rupture de mon appareil, ou l'obligation de m'élever instantanément pour éviter un obstacle imprévu.

« Mes moyens d'ascension et de descente consistent uniquement à dilater ou à contracter par des températures diverses le gaz renfermé dans l'intérieur de l'aérostat. Et voici comment j'obtiens ce résultat.

"Vous avez vu embarquer avec la nacelle plusieurs caisses dont l'usage vous est inconnu Ces caisses sont au nombre de cinq.

« La première renferme environ vingt-cinq gallons d'eau, à laquelle j'ajoute quelques gouttes d'acide sulfurique pour augmenter sa conductibilité, et je la décompose au moyen d'une forte pile de Buntzen L'eau, comme vous le savez, se compose de deux volumes en gaz hydrogène et d'un volume en gaz oxygène.