Jules Verne

Tout d'abord, et pour ne pas donner de trop grandes dimensions à l'aérostat, il résolut de le gonfler avec du gaz hydrogène, qui est quatorze fois et demie plus léger que l'air. La production de ce gaz est facile, et c'est celui qui a donné les meilleurs résultats dans les expériences aérostatiques.

Le docteur, d'après des calculs très-exacts, trouva que, pour les objets indispensables à son voyage et pour son appareil, il devait emporter un poids de quatre mille livres; il fallut donc rechercher quelle serait la force ascensionnelle capable d'enlever ce poids, et, par conséquent, quelle en serait la capacité.

Un poids de quatre mille livres est représenté par un déplacement d'air de quarante-quatre mille huit cent quarante-sept pieds cubes [1,661 mètres cubes.], ce qui revient à dire que quarante-quatre mille huit cent quarante-sept pieds cubes d'air pèsent quatre mille livres environ.

En donnant au ballon cette capacité de quarante-quatre mille huit cent quarante-sept pieds cubes et en le remplissant, au lieu d'air, de gaz hydrogène, qui, quatorze fois et demie plus léger, ne pèse que deux cent soixante seize livres, il reste une rupture d'équilibre, soit une différence de trois mille sept cent vingt-quatre livrés. C'est cette différence entre le poids du gaz contenu dans le ballon et le poids de l'air environnant qui constitue la force ascensionnelle de l'aérostat.

Toutefois, si l'on introduisait dans le ballon les quarante-quatre mille huit cent quarante pieds cubes de gaz dont nous parlons, il serait entièrement rempli; or cela ne doit pas être, car à mesure que le ballon monte dans les couches moins denses de l'air, le gaz qu'il renferme tend à se dilater et ne tarderait pas à crever l'enveloppe. On ne remplit donc généralement les ballons qu'aux deux tiers.

Mais le docteur, par suite de certain projet connu de lui seul, résolut de ne remplir son aérostat qu'à moitié, et puisqu'il lui fallait emporter quarante-quatre mille huit cent quarante-sept pieds cubes d'hydrogène, de donner à son ballon une capacité à peu près double.

Il le disposa suivant cette forme allongée que l'on sait être préférable; le diamètre horizontal fut de cinquante pieds et le diamètre vertical de soixante-quinze [Cette dimension n'a rien d'extraordinaire: en 1784, à Lyon, M. Montgolfier construisit un aérostat dont la capacité était de 340,000 pieds cubes, ou 20,000 mètres cubes, et il pouvait enlever un poids de 20 tonnes, soit 20,000 kilogrammes]; il obtint ainsi un sphéroïde dont la capacité s'élevait en chiffres ronds à quatre-vingt-dix mille pieds cubes.

Si le docteur Fergusson avait pu employer deux ballons, ses chances de réussite se seraient accrues; en effet, au cas où l'un vient à se rompre dans l'air, on peut en jetant du lest se soutenir au moyen de l'autre. Mais la manœuvre de deux aérostats devient fort difficile, lorsqu'il s'agit de leur conserver une force d'ascension égale.

Après avoir longuement réfléchi, Fergusson, par une disposition ingénieuse, réunit les avantages de deux ballons sans en avoir les inconvénients; il en construisit deux d'inégale grandeur et les renferma l'un dans l'autre. Son ballon extérieur, auquel il conserva les dimensions que nous avons données plus haut, en contint un plus petit, de même forme, qui n'eût que quarante-cinq pieds de diamètre horizontal et soixante-huit pieds de diamètre vertical. La capacité de ce ballon intérieur n'était donc que de soixante-sept mille pieds cubes; il devait nager dans le fluide qui l'entourait; une soupape s'ouvrait d'un ballon à l'autre et permettait au besoin de les faire communiquer entre eux.

Cette disposition présentait cet avantage que, s'il fallait donner issue au gaz pour descendre, on laisserait échapper d'abord celui du grand ballon; dût-on même le vider entièrement, le petit resterait intact; on pouvait alors se débarrasser de l'enveloppe extérieure, comme d'un poids incommode, et le second aérostat, demeuré seul, n'offrait pas au vent la prise que donnent les ballons à demi dégonflés.