Jules Verne

--Cela fait à peine cent vingt milles [Cinquante lieues], c'est-à-dire rien.

--Presque rien, Samuel.

--Or, sais-tu ce qui se passe en ce moment?

--Non, sur ma vie!

--Eh bien! le voici. La Société de Géographie a regardé comme très importante l'exploration de ce lac entrevu par Speke. Sous ses auspices, le lieutenant, aujourd'hui capitaine Speke, s'est associé le capitaine Grant de l'armée des Indes; ils se sont mis à la tête d'une expédition nombreuse et largement subventionnée; ils ont mission de remonter le lac et de re-venir jusqu'à Gondokoro; ils ont reçu un subside de plus de cinq mille livres, et le gouverneur du Cap a mis des soldats hottentots à leur dispo-sition; ils sont partis de Zanzibar à la fin d'octobre 1860. Pendant ce temps, l'Anglais John Petherick, consul de Sa Majesté à Kartoum, a reçu du Foreign-office sept cents livres environ; il doit équiper un bateau à vapeur à Karthoum, le charger de provisions suffisantes, et se rendre à Gondokoro; là il attendra la caravane du capitaine Speke et sera en mesure de la ravitailler.

--Bien imaginé, dit Kennedy.

--Tu vois bien que cela presse, si nous voulons participer à ces travaux d'exploration Et ce n'est pas tout; pendant que l'on marche d'un pas sûr à la découverte des sources du Nil, d'autres voyageurs vont hardiment au cœur de l'Afrique.

--A pied, fit Kennedy

--A pied, répondit le docteur sans relever l'insinuation. Le docteur Krapf se propose de pousser dans l'ouest par le Djob, rivière située sous l'équateur. Le baron de Decken a quitté Monbaz, a reconnu les montagnes de Kenia et de Kilimandjaro, et s'enfonce vers le centre.

--A pied toujours?

--Toujours à pied, ou à dos de mulet.

--C'est exactement la même chose pour moi, répliqua Kennedy.

--Enfin, reprit le docteur, M. de Heuglin, vice-consul d'Autriche à Karthoum, vient d'organiser une expédition très importante, dont le premier but est de rechercher le voyageur Vogel, qui, en 1853, fut envoyé dans le Soudan pour s'associer aux travaux du docteur Barth. En 1856, il quitta le Bornou, et résolut d'explorer ce pays inconnu qui s'étend entre le lac Tchad et le Darfour. Or, depuis ce temps, il nia pas reparu. Des lettres arrivées en juin 1860 à Alexandrie rapportent qu'il fut assassiné par les ordres du roi du Wadaï; mais d'autres lettres, adressées par le docteur Hartmann au père du voyageur, disent, d'après les récits d'un fellatah du Bornou, que Vogel serait seulement un prisonnier à Wara; tout espoir n'est donc pas perdu. Un comité s'est formé sous la présidence du duc régent de Saxe-Cobourg-Gotha; mon ami Petermann en est le secrétaire; une souscription nationale a fait les frais de l'expédition, à laquelle se sont joints de nombreux savants; M. de Heuglin est parti de Masuah dans le mois de juin, et en même temps qu'il recherche les traces de Vogel, il doit explorer tout le pays compris entre le Nil et le Tchad, c'est-à-dire relier les opérations du capitaine Speke à celles du docteur Barth. Et alors l'Afrique aura été traversée de l'est à l'ouest [Depuis le départ du docteur Fergusson, on a appris que M. de Heuglin, à la suite de certaines discussions, a pris une route différente de celle assignée à son expédition, dont le commandement a été remis à M. Munzinger.].

--Eh bien! reprit l'Écossais, puisque tout cela s'emmanche si bien, qu'allons-nous faire là-bas? »

Le docteur Fergusson ne répondit pas, et se contenta de hausser les épaules.

CHAPITRE VI

Un domestique impossible.--Il aperçoit les satellites de Jupiter.--Dick et Joe aux prises.--Le doute et la croyance.--Le pesage.--Joe Wellington.--Il reçoit une demi-couronne.

Le docteur Fergusson avait un domestique; il répondait avec empressement au nom de Joe; une excellente nature; ayant voué à son maître une confiance absolue et un dévouement sans bornes; devançant même ses ordres, toujours interprétés d'une façon intelligente; un Caleb pas grognon et d'une éternelle bonne humeur; on l'eût fait exprès qu'on n'eût pas mieux réussi.