A la vue des voyageurs, ils poussèrent des cris sauvages, en brandissant leurs armes; la colère et les menaces se lisaient sur leurs figures basanées, rendues plus féroces par une barbe rare, mais hérissée; ils traversaient sans peine ces plateaux abaissés et ces rampes adoucies qui descendent an Sénégal.
« Ce sont bien eux! dit le docteur, les cruels Talibas, les farouches marabouts d'Al-Eladji! J'aimerais mieux me trouver en pleine forêt, au milieu d'un cercle de bêtes fauves, que de tomber entre les mains de ces bandits.
--Ils n'ont pas l'air accommodant! fit Kennedy, et ce sont de vigoureux gaillards!
--Heureusement, ces bêtes-là, ça ne vole pas, répondit Joe; c'est toujours quelque chose
--Voyez, dit Fergusson, ces villages en ruines, ces huttes incendiées! voilà leur ouvrage; et là où s'étendaient de vastes cultures, ils ont apporté l'aridité et la dévastation.
--Enfin, ils ne peuvent nous atteindre, répliqua Kennedy, et si nous parvenons à mettre le fleuve entre eux et nous, nous serons en sûreté.
--Parfaitement, Dick; mais il ne faut pas tomber, répondit Le docteur en portant ses yeux sur le baromètre
--En tout cas, Joe, reprit Kennedy, nous ne ferons pas mal de préparer nos armes.
--Cela ne peut pas nuire, Monsieur Dick; nous nous trouverons bien de ne pas les avoir semées sur notre route.
--Ma carabine! s'écria le chasseur, j'espère ne m'en séparer jamais. »
Et Kennedy la chargea avec le plus grand soin; il lui restait de la poudre et des balles en quantité suffisante.
« A quelle hauteur nous maintenons-nous? demanda-t-il à Fergusson.
--A sept cent cinquante pieds environ; mais nous n'avons plus la faculté de chercher des courants favorables, en montant ou en descendant; nous sommes à la merci du ballon.
--Cela est fâcheux, reprit Kennedy; le vent est assez médiocre, et si nous avions rencontré un ouragan pareil à celui des jours précédents, depuis longtemps ces affreux bandits seraient hors de vue.
--Ces coquins-là nous suivent sans se gêner, dit Joe, au petit galop; une vraie promenade.
--Si nous étions à bonne portée, dit le chasseur, je m'amuserais à les démonter les uns après les autres.
--Oui-da! répondit Fergusson; mais ils seraient à bonne portée aussi, et notre Victoria offrirait un but trop facile aux balles de leurs longs mousquets; or, s'ils le déchiraient, je te laisse à juger quelle serait notre situation. »
La poursuite des Talibas continua toute la matinée. Vers onze heures du matin, les voyageurs avaient à peine gagné une quinzaine de milles dans l'ouest.
Le docteur épiait les moindres nuages à l'horizon. Il craignait toujours un changement dans l'atmosphère. S'il venait à être rejeté vers le Niger, que deviendrait-il! D'ailleurs, il constatait que le ballon tendait à baisser sensiblement; depuis son départ, il avait déjà perdu plus de trois cents pieds, et le Sénégal devait être éloigné d'une douzaine de milles; avec la vitesse actuelle, il lui fallait compter encore trois heures de voyage.
En ce moment, son attention fut attirée par de nouveaux cri; les Talibas s'agitaient en pressant leurs chevaux.
Le docteur consulta le baromètre, et comprit la cause de ces hurlements:
« Nous descendons, fit Kennedy.
--Oui, répondit Fergusson.
--Diable! » pensa Joe.
Au bout d'un quart d'heure, la nacelle n'était pas à cent cinquante pieds du sol, mais le vent soufflait avec plus de force.
Les Talibas enlevèrent leurs chevaux, et bientôt une décharge de mousquets éclata dans les airs.
« Trop loin, imbéciles! s'écria Joe; il me paraît bon de tenir ces gredins-là à distance. »
Et, visant l'un des cavaliers les plus avancés, il fit feu; le Talibas roula à terre; ses compagnons s'arrêtèrent et le Victoria gagna sur eux.
« Ils sont prudents; dit Kennedy.
--Parce qu'ils se croient assurés de nous prendre, répondit le docteur; et ils y réussiront, si nous descendons encore! Il faut absolument nous relever!
--Que jeter! demanda Joe.
--Tout ce qui reste de provision de pemmican! C'est encore une trentaine de livres dont nous nous débarrasserons!
--Voilà, Monsieur! » fit Joe en obéissant aux ordres de son maître.