Jules Verne

Un autre Français, Imbert, en 1670, un Anglais, Robert Adams, en 1810, avaient peut-être vu cette ville curieuse; mais René Caillié devait être le premier Européen qui en ait rapporté des données exactes; le 4 mai, il quitta cette reine du désert; le 9, il reconnut l'endroit même où fut assassiné le major Laing; le 19, il arriva à El-Araouan et quitta cette ville commerçante pour franchir, à travers mille dangers, les vastes solitudes comprises entre le Soudan et les régions septentrionales de l'Afrique; enfin il entra à Tanger, et, le 28 septembre, il s'embarqua pour Toulon; en dix-neuf mois, malgré cent quatre-vingts jours de maladie, il avait traversé l'Afrique de l'ouest au nord. Ah! si Caillié fût né en Angleterre, on l'eut honoré comme le plus intrépide voyageur des temps modernes; à l'égal de Mungo-Park. Mais, en France, il n'est pas apprécié à sa valeur [Le docteur Fergusson, en sa qualité d'Anglais, exagère peut-être; néanmoins, nous devons reconnaître que René Caillié ne jouit pas en France, parmi les voyageurs, d'une célébrité digne de son dévouement et de son courage].

--C'était un hardi compagnon, dit le chasseur. Et qu'est-il devenu?

--Il est mort à trente-neuf ans, des suites de ses fatigues; on crut avoir assez fait en lui décernant le prix de la Société de géographie en 1828; les plus grands honneurs lui eussent été rendus en Angleterre! Au reste, tandis qu'il accomplissait ce merveilleux voyage, un Anglais concevait la même entreprise et la tentait avec autant de courage, sinon autant de bonheur. C'est le capitaine Clapperton, le compagnon de Denham. En 1829, il rentra en Afrique par la côte ouest dans le golfe de Bénin; il reprit les traces de Mungo-Park et de Laing, retrouva dans Boussa les documents relatifs à la mort du premier, arriva le 20 août à Sakcatou où, retenu prisonnier, il rendit le dernier soupir entre les mains de son fidèle domestique Richard Lander.

--Et que devint ce Lander? demanda Joe fort intéressé.

--Il parvint à regagner la côte et revint à Londres, rapportant les papiers du capitaine et une relation exacte de son propre voyage; il offrit alors ses services au gouvernement pour compléter la reconnaissance du Niger; il s'adjoignit son frère John, second enfant de pauvres gens des Cornouailles, et tous les deux, de 1829 à 1831, ils redescendirent le fleuve depuis Boussa jusqu'à son embouchure, le décrivant village par village, mille par mille.

--Ainsi, ces deux frères échappèrent au sort commun? demanda Kennedy.

--Oui, pendant cette exploration du moins, car en 1833 Richard entreprit un troisième voyage au Niger, et périt frappé d'une balle inconnue prés de l'embouchure du fleuve. Vous le voyez donc, mes amis, ce pays, que nous traversons, a été témoin de nobles dévouements, qui n'ont eu trop souvent que la mort pour récompense! »

CHAPITRE XXXIX

Le pays dans le coude du Niger.--Vue fantastique des monts Hombori.--Kabra.--Tembouctou.--Plan du docteur Barth.--Décadence.--Où le Ciel voudra.

Pendant cette maussade journée du lundi, le docteur Fergusson se plut à donner à ses compagnons mille détails sur la contrée qu'ils traversaient. Le sol assez plat n'offrait aucun obstacle à leur marche. Le seul souci du docteur était causé par ce maudit vent du nord-est qui soufflait avec rage et l'éloignait de la latitude de Tembouctou.

Le Niger, après avoir remonté au nord jusqu'à cette ville, s'arrondit comme un immense jet d'eau et retombe dans l'océan Atlantique en gerbe largement épanouie; dans ce coude, le pays est très varié, tantôt d'une fertilité luxuriante, tantôt d'une extrême aridité; les plaines incultes succèdent aux champs de maïs, qui sont remplacés par de vastes terrains couverts de genêts; toutes les espèces d'oiseaux d'humeur aquatique, pélicans, sarcelles martins-pêcheurs, vivent en troupes nombreuses sur les bords des torrents et des marigots.

De temps en temps apparaissait un camp de Touareg, abrités sous leurs tentes de cuir, tandis que les femmes vaquaient aux travaux extérieurs, trayant leurs chamelles et fumant leurs pipes à gros foyer.