Là, il s'arrêta, et ses compagnons purent le rejoindre. Alors il sembla mesurer du regard l'intervalle qui lui restait à franchir; horizontalement, il ne se trouvait pas à plus de cent toises du cratère, c'est-à-dire du point mathématique du pôle; mais, verticalement, c'était encore plus de quinze cents pieds à gravir.
L'ascension durait déjà depuis trois heures; Hatteras ne semblait pas fatigué; ses compagnons se trouvaient au bout de leurs forces.
Le sommet du volcan paraissait être inaccessible. Le docteur résolut d'empêcher à tout prix Hatteras de s'élever plus haut. Il essaya d'abord de le prendre par la douceur, mais l'exaltation du capitaine allait jusqu'au délire; pendant la route, il avait donné tous les signes d'une folie croissante, et qui l'a connu, qui l'a suivi dans les phases diverses de son existence, ne peut en être surpris. A mesure qu'Hatteras s'élevait au-dessus de l'Océan, sa surexcitation s'accroissait; il ne vivait plus dans la région des hommes; il croyait grandir avec la montagne elle-même.
«Hatteras, lui dit le docteur, assez! nous n'en pouvons plus.
--Demeurez donc, répondit le capitaine d'une voix étrange; j'irai plus haut!
--Non! ce que vous faites est inutile! vous êtes ici au pôle du monde!
--Non! non! plus haut!
--Mon ami! c'est moi qui vous parle, le docteur Clawbonny. Ne me reconnaissez-vous pas?
--Plus haut! plus haut! répétait l'insensé.
--Eh bien, non! nous ne souffrirons pas...»
Le docteur n'avait pas achevé ces mots qu'Hatteras, par un effort surhumain, franchit le fleuve de lave et se trouva hors de la portée de ses compagnons.
Ceux-ci poussèrent un cri; ils croyaient Hatteras abîmé dans le torrent de feu; mais le capitaine était retombé de l'autre côté, suivi par son chien Duk, qui ne voulait pas le quitter.
Il disparut derrière un rideau de fumée, et l'on entendit sa voix qui décroissait dans l'éloignement.
«Au nord! au nord! criait-il. Au sommet du mont Hatteras! Souvenez-vous du mont Hatteras!»
On ne pouvait songer à rejoindre le capitaine; il y avait vingt chances pour rester là où il avait passé avec ce bonheur et cette adresse particulière aux fous; il était impossible de franchir ce torrent de feu, impossible également de le tourner. Altamont tenta vainement de passer; il faillit périr en voulant traverser le fleuve de lave; ses compagnons durent le retenir malgré lui.
«Hatteras! Hatteras!» s'écriait le docteur.
Mais le capitaine ne répondit pas, et les aboiements à peine distincts de Duk retentirent seuls dans la montagne.
Cependant Hatteras se laissait voir par intervalles à travers les colonnes de fumée et sous les pluies de cendre. Tantôt son bras, tantôt sa tête sortaient du tourbillon. Puis il disparaissait et se montrait plus haut accroché aux rocs. Sa taille diminuait avec cette rapidité fantastique des objets qui s'élèvent dans l'air. Une demi-heure après, il semblait déjà rapetissé de moitié.
L'atmosphère s'emplissait des bruits sourds du volcan; la montagne résonnait et ronflait comme une chaudière bouillante; on sentait ses flancs frissonner. Hatteras montait toujours. Duk le suivait.
De temps en temps, un éboulement se produisait derrière eux, et quelque roc énorme, pris d'une vitesse croissante et rebondissant sur les crêtes, allait s'engouffrer jusqu'au fond du bassin polaire.
Hatteras ne se retournait même pas. Il s'était servi, de son bâton comme d'une hampe pour y attacher le pavillon anglais. Ses compagnons épouvantés ne perdaient pas un de ses mouvements. Ses dimensions devenaient peu à peu microscopiques, et Duk paraissait réduit à la taille d'un gros rat.
Il y eut un moment où le vent rabattit sur eux un vaste rideau de flamme. Le docteur poussa un cri d'angoisse; mais Hatteras réapparut, debout, agitant son drapeau.
Le spectacle de cette effrayante ascension dura plus d'une heure. Une heure de lutte avec les rocs vacillants, avec les fondrières de cendre dans lesquelles ce héros de l'impossible disparaissait jusqu'à mi-corps. Tantôt il se hissait, en s'arc-boutant des genoux et des reins contre les anfractuosités de la montagne, et tantôt, suspendu par les mains à quelque arête vive, il oscillait au vent comme une touffe desséchée.