L'ouragan semblait avoir respecté cette partie de l'Océan polaire.
Que se passait-il donc? Un phénomène extraordinaire, inexplicable, et dont le capitaine Sabine fut témoin pendant ses voyages aux mers groënlandaises.
Le brouillard, sans se lever, s'était fait étrangement lumineux.
La chaloupe naviguait dans une zone de lumière électrique, un immense feu Saint-Elme resplendissait, mais sans chaleur. Le mât, la voile, les agrès se dessinaient en noir sur le fond phosphorescent du ciel avec une incomparable netteté; les navigateurs demeuraient plongés dans un bain de rayons transparents, et leurs figures se coloraient de reflets enflammés.
L'accalmie soudaine de cette portion de l'Océan provenait sans doute du mouvement ascendant des colonnes d'air, tandis que la tempête, appartenant au genre des cyclones[1], tournait avec rapidité autour de ce centre paisible.
[1] Tempêtes tournantes.
Mais cette atmosphère en feu fit venir une pensée à l'esprit d'Hatteras.
«Le volcan! s'écria-t-il.
--Est-ce possible? fit Bell.
--Non! non! répondit le docteur; nous serions étouffés si ses flammes s'étendaient jusqu'à nous.
--C'est peut-être son reflet dans le brouillard, fit Altamont.
--Pas davantage. Il faudrait admettre que nous fussions près de terre, et, dans ce cas, nous entendrions les fracas de l'éruption.
--Mais alors?... demanda le capitaine.
--C'est un phénomène cosmique, répondit le docteur, phénomène peu observé jusqu'ici!... Si nous continuons notre route, nous ne tarderons pas à sortir de cette sphère lumineuse pour retrouver l'obscurité et la tempête.
--Quoi qu'il en soit, en avant! répondit Hatteras.
--En avant!» s'écrièrent ses compagnons, qui ne songèrent même pas à reprendre haleine dans ce bassin tranquille.
La voile, avec ses plis de feu, pendait le long du mât étincelant; les avirons plongèrent dans les vagues ardentes et parurent soulever des flots d'étincelles faites de gouttes d'eau vivement éclairées.
Hatteras, la boussole à la main, reprit la route du nord; peu à peu le brouillard perdit de sa lumière, puis de sa transparence; le vent fit entendre ses rugissements à quelques toises, et bientôt la chaloupe, se couchant sous une violente rafale, rentra dans la zone des tempêtes.
Mais l'ouragan avait heureusement tourné d'un point vers le sud, et l'embarcation put courir vent arrière, allant droit au pôle, risquant de sombrer, mais se précipitant avec une vitesse insensée; recueil, rocher ou glaçon, pouvait surgir à chaque instant des flots, et elle s'y fût infailliblement mise en pièces.
Cependant, pas un de ces hommes n'élevait une objection; pas un ne faisait entendre la voix de la prudence. Ils étaient pris de la folie du danger. La soif de l'inconnu les envahissait. Ils allaient ainsi non pas aveugles, mais aveuglés, trouvant l'effroyable rapidité de cette course trop faible au gré de leur impatience. Hatteras maintenait sa barre dans son imperturbable direction, au milieu des vagues écumant sous le fouet de la tempête.
Cependant l'approche de la côte se faisait sentir; il y avait dans l'air des symptômes étranges.
Tout à coup le brouillard se fendit comme un rideau déchiré par le vent, et, pendant un laps de temps rapide comme l'éclair, on put voir à l'horizon un immense panache de flammes se dresser vers le ciel.
«Le volcan! le volcan!...»
Ce fut le mot qui s'échappa de toutes les bouches; mais la fantastique vision avait disparu; le vent, sautant dans le sud-est, prit l'embarcation par le travers et l'obligea de fuir encore cette terre inabordable.
«Malédiction! fit Hatteras en bordant sa misaine; nous n'étions pas à trois milles de la côte!»
Hatteras ne pouvait résister à la violence de la tempête; mais, sans lui céder, il biaisa dans le vent, qui se déchaînait avec un emportement indescriptible. Par instants, la chaloupe se renversait sur le côté, à faire craindre que sa quille n'émergeât tout entière; cependant elle finissait par se relever sous l'action du gouvernail, comme un coursier dont les jarrets fléchissent et que son cavalier relève de la bride et de l'éperon.