Une bourre de poils épaisse et longue, et une sorte de soie brune et fine formaient leur pelage.
A la vue des chasseurs, les deux animaux ne tardèrent pas à prendre la fuite, et ceux-ci les poursuivirent à toutes jambes.
Mais les atteindre était difficile à des gens qu'une course soutenue d'une demi-heure essouffla complètement. Hatteras et ses compagnons s'arrêtèrent.
«Diable! fit Altamont.
--Diable est le mot, répondit le docteur, dès qu'il put reprendre haleine. Je vous donne ces ruminants-là pour des Américains, et ils ne paraissent pas avoir de vos compatriotes une idée très avantageuse.
--Cela prouve que nous sommes de bons chasseurs», répondit Altamont.
Cependant les boeufs musqués, ne se voyant plus poursuivis, s'arrêtèrent dans une posture d'étonnement. Il devenait évident qu'on ne les forcerait pas à la course; il fallait donc chercher à les cerner; le plateau qu'ils occupaient alors se prêtait à cette manoeuvre. Les chasseurs, laissant Duk harceler ces animaux, descendirent par les ravines avoisinantes, de manière à tourner le plateau. Altamont et le docteur se cachèrent à l'une de ses extrémités derrière des saillies de roc, tandis qu'Hatteras, en remontant à l'improviste par l'extrémité opposée, devait les rabattre sur eux.
Au bout d'une demi-heure, chacun avait gagné son poste.
«Vous ne vous opposez pas cette fois à ce qu'on reçoive ces quadrupèdes à coups de fusil? dit Altamont.
--Non! c'est de bonne guerre», répondit le docteur, qui, malgré sa douceur naturelle, était chasseur au fond de l'âme.
Ils causaient ainsi, quand ils virent les boeufs musqués s'ébranler, Duk à leurs talons; plus loin, Hatteras, poussant de grands cris, les chassait du côté du docteur et de l'Américain, qui s'élancèrent bientôt au-devant de cette magnifique proie.
Aussitôt, les boeufs s'arrêtèrent, et, moins effrayés de la vue d'un seul ennemi, ils revinrent sur Hatteras; celui-ci les attendit de pied ferme, coucha en joue le plus rapproché des deux quadrupèdes, fit feu, sans que sa balle, frappant l'animal en plein front, parvînt à enrayer sa marche. Le second coup de fusil d'Hatteras ne produisit d'autre effet que de rendre ces bêtes furieuses; elles se jetèrent sur le chasseur désarmé el le renversèrent en un instant.
«Il est perdu!» s'écria le docteur.
Au moment où Clawbonny prononça ces paroles avec l'accent du désespoir, Altamont fit un pas en avant pour voler au secours d'Hatteras; puis il s'arrêta, luttant contre lui-même et contre ses préjugés.
«Non! s'écria-t-il, ce serait une lâcheté!»
Il s'élança vers le théâtre du combat avec Clawbonny.
Son hésitation n'avait pas duré une demi-seconde.
Mais si le docteur vit ce qui se passait dans l'âme de l'Américain, Hatteras le comprit, lui qui se fût laissé tuer plutôt que d'implorer l'intervention de son rival. Toutefois, il eut à peine le temps de s'en rendre compte, car Altamont apparut près de lui.
Hatteras, renversé à terre, essayait de parer les coups de cornes et les coups de pieds des deux animaux; mais il ne pouvait prolonger longtemps une pareille lutte.
Il allait inévitablement être mis en pièces, quand deux coups de feu retentirent; Hatteras sentit les balles lui raser la tête.
«Hardi!» s'écria Altamont, qui rejetant loin de lui son fusil déchargé, se précipita sur les animaux irrités.
L'un des boeufs, frappé au coeur, tomba foudroyé; l'autre, au comble de la fureur, allait éventrer le malheureux capitaine lorsque Altamont, se présentant face à lui, plongea entre ses mâchoires ouvertes sa main armée du couteau à neige; de l'autre, il lui fendit la tête d'un terrible coup de hache.
Cela fut fait avec une rapidité merveilleuse, et un éclair eût illuminé toute cette scène.
Le second boeuf se courba sur ses jarrets et tomba mort.
«Hurrah! hurrah!» s'écria Clawbonny.
Hatteras était sauvé.
Il devait donc la vie à l'homme qu'il détestait le plus au monde! Que se passa-t-il dans son âme en cet instant? Quel mouvement humain s'y produisit qu'il, ne put maîtriser?
C'est là l'un de ces secrets du coeur qui échappent à toute analyse.