Ce traîneau courait aisément sur la glace; mais par les temps de neige, lorsque les couches blanches n'étaient pas encore durcies, on lui adaptait deux châssis verticaux juxtaposés, et, élevé de la sorte, il pouvait avancer sans accroître son tirage. D'ailleurs, en le frottant d'un mélange de soufre et de neige, suivant la méthode esquimau, il glissait avec une remarquable facilité.
Son attelage se composait de six chiens; ces animaux, robustes malgré leur maigreur, ne paraissaient pas trop souffrir de ce rude hiver; leurs harnais de peau de daim étaient en bon état; on devait compter sur un tel équipage, que les Groënlandais d'Uppernawik avaient vendu en conscience. A eux six, ces animaux pouvaient traîner un poids de deux mille livres, sans se fatiguer outre mesure.
Les effets de campement furent une tente, pour le cas où la construction d'une snow-house[1] serait impossible, une large toile de mackintosh, destinée à s'étendre sur la neige, qu'elle empêchait de fondre au contact du corps, et enfin plusieurs couvertures de laine et de peau de buffle. De plus, on emporta l'halkett-boat.
[1] Maison de neige.
Les provisions consistèrent en cinq caisses de pemmican pesant environ quatre cent cinquante livres; on comptait une livre de pemmican par homme et par chien; ceux-ci étaient au nombre de sept, en comprenant Duk; les hommes ne devaient pas être plus de quatre. On emportait aussi douze gallons d'esprit-de-vin, c'est-à-dire cent cinquante livres à peu près, du thé, du biscuit en quantité suffisante, une petite cuisine portative, avec une notable quantité de mèches et d'étoupes, de la poudre, des munitions, et quatre fusils à deux coups. Les hommes de l'expédition, d'après l'invention du capitaine Parry, devaient se ceindre de ceintures en caoutchouc, dans lesquelles la chaleur du corps et le mouvement de la marche maintenaient du café, du thé et de l'eau à l'état liquide.
Johnson soigna tout particulièrement la confection des snow-shoes[1], fixées sur des montures en bois garnies de lanières de cuir; elles servaient de patins; sur les terrains entièrement glacés et durcis, les moccassins de peau de daim les remplaçaient avec avantage; chaque voyageur dut être muni de deux paires des unes et des autres.
[1] Chaussures à neige.
Ces préparatifs, si importants, puisqu'un détail omis peut amener la perte d'une expédition, demandèrent quatre jours pleins. Chaque midi, Hatteras eut soin de relever la position de son navire; il ne dérivait plus, et il fallait cette certitude absolue pour opérer le retour.
Hatteras s'occupa de choisir les hommes qui devaient le suivre. C'était une grave décision à prendre; quelques-uns n'étaient pas bons à emmener, mais on devait aussi regarder à les laisser à bord. Cependant, le salut commun dépendant de la réussite du voyage, il parut opportun au capitaine de choisir avant tout des compagnons sûrs et éprouvés.
Shandon se trouva donc exclu; il ne manifesta, d'ailleurs, aucun regret à cet égard. James Wall, complètement alité, ne pouvait prendre part à l'expédition.
L'état des malades, au surplus, n'empirait pas; leur traitement consistait en frictions répétées et en fortes doses de jus de citron; il n'était pas difficile à suivre, et ne nécessitait aucunement la présence du docteur. Celui-ci se mit donc en tête des voyageurs, et son départ n'amena point la moindre réclamation.
Johnson eût vivement désiré accompagner le capitaine dans sa périlleuse entreprise; mais celui-ci le prit à part, et d'une voix affectueuse, presque émue:
«Johnson, lui dit-il, je n'ai de confiance qu'en vous. Vous êtes le seul officier auquel je puisse laisser mon navire. Il faut que je vous sache là pour surveiller Shandon et les autres. Ils sont enchaînés ici par l'hiver; mais qui sait les funestes résolutions dont leur méchanceté est capable? Vous serez muni de mes instructions formelles, qui remettront au besoin le commandement entre vos mains. Vous serez un autre moi-même. Notre absence durera quatre à cinq semaines au plus, et je serai tranquille, vous ayant là où je ne puis être.