L'extrême portée du son par les basses températures est un fait étonnant; il n'est égalé que par la clarté des constellations dans le ciel boréal; les rayons lumineux et les ondes sonores se transportent à des distances considérables, surtout par les froids secs des nuits hyperboréennes.
Les chasseurs, guidés par ces aboiements lointains, se lancèrent sur les traces de Duk; il leur fallut faire un mille, et ils arrivèrent essoufflés, car les poumons sont rapidement suffoqués dans une semblable atmosphère. Duk demeurait en arrêt à cinquante pas à peine d'une masse énorme qui s'agitait au sommet d'un monticule.
«Nous voilà servis à souhait! s'écria le docteur en armant son fusil.
--Un ours, ma foi, et un bel ours, dit Bell en imitant le docteur,
--Un ours singulier,» fit Johnson, se réservant de tirer après ses deux compagnons.
Duk aboyait avec fureur. Bell s'avança d'une vingtaine de pieds et fit feu; mais l'animal ne parut pas être atteint, car il continua de balancer lourdement sa tête.
Johnson, s'approcha à son tour, et, après avoir soigneusement visé, il pressa la détente de son arme.
«Bon! s'écria le docteur; rien encore! Ah! maudite réfraction! nous sommes hors de portée; on ne s'y habituera donc jamais! Cet ours est à plus de mille pas de nous!
--En avant!» répondit Bell.
Les trois compagnons s'élancèrent rapidement vers l'animal que cette fusillade n'avait aucunement troublé; il semblait être de la plus forte taille, et, sans calculer les dangers de l'attaque, les chasseurs se livraient déjà à la joie de la conquête. Arrivés à une portée raisonable, ils firent feu; l'ours, blessé mortellement sans doute, fit un bond énorme et tomba au nied du monticule.
Duk se précipita sur lui.
«Voilà un ours, dit le docteur, qui n'aura pas été difficile à abattre.
--Trois coups de feu seulement, répondit Bell d'un air méprisant, et il est à terre.
--C'est même singulier, fit Johnson.
--A moins que nous ne soyons arrivés juste au moment où il allait mourir de vieillesse, répondit le docteur en riant.
--Ma foi, vieux ou jeune, répliqua Bell, il n'en sera pas moins de bonne prise.»
En parlant de la sorte, les chasseurs arrivèrent au monticule, et, à leur grande stupéfaction, ils trouvèrent Duk acharné sur le cadavre d'un renard blanc!
«Ah! par exemple, s'écria Bell, voilà qui est fort:
--En vérité, dit le docteur! nous tuons un ours, et c'est un renard qui tombe!»
Johnson ne savait trop que répondre.
«Bon! s'écria le docteur avec un éclat de rire, mêlé de dépit; encore la réfraction! toujours la réfraction!
--Que voulez-vous dire, monsieur Clawbonny? demanda le charpentier.
--Eh oui, mon ami; elle nous a trompés sur les dimensions comme sur la distance! elle nous a fait voir un ours sous la peau d'un renard! pareille méprise est arrivée plus d'une fois aux chasseurs dans des circonstances identiques! Allons! nous en sommes pour nos frais d'imagination.
«Ma foi, répondit Johnson, ours ou renard, on le mangera tout de même. Emportons-le.»
Mais, au moment où le maître d'équipage allait charger l'animal sur ses épaules:
«Voilà qui est plus fort! s'écria-t-il.
--Qu'est-ce donc? demanda le docteur.
--Regardez, monsieur Clawbonny, voyez! il y a un collier au cou de cette bête!
--Un collier?» répliqua le docteur, en se penchant sur l'animal.
En effet, un collier de cuivre à demi usé apparaissait au milieu de la blanche fourrure du renard; le docteur crut y remarquer des lettres gravées; en un tour de main, il l'enleva de ce cou autour duquel il paraissait rivé depuis longtemps.
«Qu'est-ce que cela veut dire? demanda Johnson.
--Cela veut dire, répondit le docteur, que nous venons de tuer un renard âgé de plus de douze ans, mes amis, un renard qui fut pris par James Ross en 1848.
--Est-il possible! s'écria Bell.
--Cela n'est pas douteux; je regrette que nous ayons abattu ce pauvre animal! Pendant son hivernage, James Ross eut l'idée de prendre dans des pièges une grande quantité de renards blancs; on riva à leur cou des colliers de cuivre sur lesquels étaient gravée l'indication de ses navires _l'Entreprise_ et _l'Investigator_, ainsi que celle des dépôts de vivres.