Enfin, par une température qui ne fut à midi que de 12° (-11° centig.), sous un ciel de neige et de brouillards, on aperçut le cap Farewel. _Le Forward_ arrivait au jour fixé; le capitaine inconnu, s'il lui plaisait de venir relever sa position par ce temps diabolique, n'aurait pas à se plaindre.
«Voilà donc, se dit le docteur, ce cap célèbre, ce cap si bien nommé![1] Beaucoup l'ont franchi comme nous, qui ne devaient jamais le revoir! Est-ce donc un adieu éternel dit à ses amis d'Europe? Vous avez passé là, Frobisher, Knight, Barlow, Vaugham, Scroggs, Barentz, Hudson, Blosseville, Franklin, Crozier, Bellot, pour ne jamais revenir au foyer domestique, et ce cap a bien été pour vous le cap des Adieux!»
[1] Farewel signifie adieu.
Ce fut vers l'an 970 que des navigateurs partis de l'Islande[1] découvrirent le Groënland. Sébastien Cabot, en 1498, s'éleva jusqu'au 56e degré de latitude; Gaspard et Michel Cotréal, de 1500 à 1502, parvinrent au 60e, et Martin Frobisher, en 1576, arriva jusqu'à la baie qui porte son nom.
[1] Île des glaces.
A Jean Davis appartient l'honneur d'avoir découvert le détroit en 1585, et, deux ans plus tard, dans un troisième voyage, ce hardi navigateur, ce grand pêcheur de baleines, atteignit le soixante-treizième parallèle, à vingt-sept degrés du pôle.
Barentz en 1596, Weymouth en 1602, James Hall en 1605 et 1607, Hudson, dont le nom fut attribué à cette vaste baie qui échancre si profondément les terres d'Amérique, James Poole en 1611, s'avancèrent plus ou moins dans le détroit, à la recherche de ce passage du nord-ouest, dont la découverte eût singulièrement abrégé les voies de communication entre les deux mondes.
Baffin, en 1616, trouva dans la mer de ce nom le détroit de Lancastre; il fut suivi en 1619 par James Munk, et en 1719 par Knight, Barlows, Waugham et Scrows, dont on n'a jamais eu de nouvelles.
En 1776, le lieutenant Pickersgill, envoyé à la rencontre du capitaine Cook, qui tentait de remonter par le détroit de Behring, pointa jusqu'au 68e degré; l'année suivante, Young s'éleva dans le même but jusqu'à l'île des Femmes.
Vint alors James Ross qui fit en 1818 le tour des côtes de la mer de Baffin, et corrigea les erreurs hydrographiques de ses devanciers.
Enfin en 1819 et 1820, le célèbre Parry s'élance dans le détroit de Lancastre, parvient à travers d'innombrables difficultés jusqu'à l'île Melville, et gagne la prime de cinq mille livres[1] promise par acte du parlement aux matelots anglais qui couperaient le cent-soixante-dixième méridien par une latitude plus élevés que le soixante-dix-septième parallèle.
[1] 125,000 francs
En 1826, Becchey touche à l'île Chamisso, James Ross hiverne, de 1829 à 1833, dans le détroit du Prince Régent, et fait, entre autres travaux importants, la découverte du pôle magnétique.
Pendant ce temps, Franklin, par la voie de terre, reconnaissait les côtes septentrionales de l'Amérique, da la rivière Mackensie à la pointe Turnagain; le capitaine Back marchait sur ses traces de 1823 à 1835, et ces explorations étaient complétées en 1839 par MM. Dease, Simpson et le docteur Rae.
Enfin, sir John Franklin, jaloux de découvrir le passage du nord-ouest, quitta l'Angleterre en 1845 sur _l'Erebus et le Terror_; il pénétra dans la mer de Baffin, et depuis son passage à l'île Disko, on n'eut plus aucune nouvelle de son expédition.
Cette disparition détermina les nombreuses recherches qui ont amené la découverte du passage, et la reconnaissance de ces continents polaires si profondément déchiquetés; les plus intrépides marins de l'Angleterre, de la France, des États-Unis, s'élancèrent vers ces terribles parages, et, grâce à leurs efforts, la carte si tourmentée, si difficile de ce pays, put figurer enfin aux archives de la Société royale géographique de Londres.
La curieuse histoire de ces contrées se présentait ainsi à l'imagination du docteur, tandis qu'appuyé sur la lisse, il suivait du regard le long sillage du brick. Les noms de ces hardis navigateurs se pressaient dans son souvenir, et il croyait entrevoir sous les arceaux glacés de la banquise les pâles fantômes de ceux qui ne revinrent pas.