Jules Verne

--En vérité!

--Et qu'il en deviendra le satellite.

--Lune de Lune! s'écria Michel Ardan.

--Seulement, je te ferai observer, mon digne ami, répliqua Barbicane, que nous n'en serons pas moins perdus pour cela!

--Oui, mais d'une autre manière, et bien autrement plaisante!» répondit l'insouciant Français avec son plus aimable sourire.

Le président Barbicane avait raison. En décrivant cet orbe elliptique, le projectile allait sans doute graviter éternellement autour de la Lune, comme un sous-satellite. C'était un nouvel astre ajouté au monde solaire, un microcosme peuplé de trois habitants -- que le défaut d'air tuerait avant peu. Barbicane ne pouvait donc se réjouir de cette situation définitive, imposée au boulet par la double influence des forces centripète et centrifuge. Ses compagnons et lui allaient revoir la face éclairée du disque lunaire. Peut-être même leur existence se prolongerait-elle assez pour qu'ils aperçussent une dernière fois la Pleine-Terre superbement éclairée par les rayons du Soleil! Peut-être pourraient-ils jeter un dernier adieu à ce globe qu'ils ne devaient plus revoir! Puis, leur projectile ne serait plus qu'une masse éteinte, morte, semblable à ces inertes astéroïdes qui circulent dans l'éther. Une seule consolation pour eux, c'était de quitter enfin ces insondables ténèbres, c'était de revenir à la lumière, c'était de rentrer dans les zones baignées par l'irradiation solaire!

Cependant les montagnes, reconnues par Barbicane, se dégageaient de plus en plus de la masse sombre. C'étaient les monts Doerfel et Leibnitz qui hérissent au sud la région circompolaire de la Lune.

Toutes les montagnes de l'hémisphère visible ont été mesurées avec une parfaite exactitude. On s'étonnera peut-être de cette perfection, et cependant, ces méthodes hypsométriques sont rigoureuses. On peut même affirmer que l'altitude des montagnes de la Lune n'est pas moins exactement déterminée que celle des montagnes de la Terre.

La méthode le plus généralement employée est celle qui mesure l'ombre portée par les montagnes, en tenant compte de la hauteur du Soleil au moment de l'observation. Cette mesure s'obtient facilement au moyen d'une lunette pourvue d'un réticule à deux fils parallèles, étant admis que le diamètre réel du disque lunaire est exactement connu. Cette méthode permet également de calculer la profondeur des cratères et des cavités de la Lune. Galilée en fit usage, et depuis, MM. Beer et Moedler l'ont employée avec le plus grand succès.

Une autre méthode, dite des rayons tangents, peut être aussi appliquée à la mesure des reliefs lunaires. On l'applique au moment où les montagnes forment des points lumineux détachés de la ligne de séparation d'ombre et de lumière, qui brillent sur la partie obscure du disque. Ces points lumineux sont produits par les rayons solaires supérieurs à ceux qui déterminent la limite de la phase. Donc, la mesure de l'intervalle obscur que laissent entre eux le point lumineux et la partie lumineuse de la phase la plus rapprochée donnent exactement la hauteur de ce point. Mais, on le comprend, ce procédé ne peut être appliqué qu'aux montagnes qui avoisinent la ligne de séparation d'ombre et de lumière.

Une troisième méthode consisterait à mesurer le profil des montagnes lunaires qui se dessinent sur le fond, au moyen du micromètre; mais elle n'est applicable qu'aux hauteurs rapprochées du bord de l'astre.

Dans tous les cas, on remarquera que cette mesure des ombres, des intervalles ou des profils, ne peut être exécutée que lorsque les rayons solaires frappent obliquement la Lune par rapport à l'observateur. Quand ils la frappent directement, en un mot, lorsqu'elle est pleine, toute ombre est impérieusement chassée de son disque, et l'observation n'est plus possible.

Galilée, le premier, après avoir reconnu l'existence des montagnes lunaires, employa la méthode des ombres portées pour calculer leurs hauteurs. Il leur attribua, ainsi qu'il a été dit déjà, une moyenne de quatre mille cinq cents toises.