Voilà pourtant une belle occasion manquée d'observer l'autre côté de la Lune! Qui sait si les habitants des autres planètes ne sont pas plus avancés que les savants de la Terre au sujet de leurs satellites?»
On aurait pu facilement, à cette remarque de Michel Ardan, faire la réponse suivante: Oui, d'autres satellites, par leur plus grande proximité, ont rendu leur étude plus facile. Les habitants de Saturne, de Jupiter et d'Uranus, s'ils existent, ont pu établir avec leurs Lunes des communications plus aisées. Les quatre satellites de Jupiter gravitent à une distance de cent huit mille deux cent soixante lieues, cent soixante-douze mille deux cents lieues, deux cent soixante-quatorze mille sept cents lieues, et quatre cent quatre-vingt mille cent trente lieues. Mais ces distances sont comptées du centre de la planète, et, en retranchant la longueur du rayon qui est de dix-sept à dix-huit mille lieues, on voit que le premier satellite est moins éloigné de la surface de Jupiter que la Lune ne l'est de la surface de la Terre. Sur les huit Lunes de Saturne, quatre sont également plus rapprochées; Diane est à quatre-vingt-quatre mille six cents lieues, Thétys à soixante-deux mille neuf cent soixante-six lieues; Encelade à quarante-huit mille cent quatre-vingt-onze lieues, et enfin Mimas à une distance moyenne de trente-quatre mille cinq cents lieues seulement. Des huit satellites d'Uranus, le premier, Ariel, n'est qu'à cinquante et un mille cinq cent vingt lieues de la planète.
Donc, à la surface de ces trois astres, une expérience analogue à celle du président Barbicane eût présenté des difficultés moindres. Si donc leurs habitants ont tenté l'aventure, ils ont peut-être reconnu la constitution de la moitié de ce disque, que leur satellite dérobe éternellement à leurs yeux.[Herschel, en effet, a constaté que, pour les satellites, le mouvement de rotation sur leur axe est toujours égal au mouvement de révolution autour de la planète. Par conséquent, ils lui présentent toujours la même face. Seul, le monde d'Uranus offre une différence assez marquée: les mouvements de ses Lunes s'effectuent dans une direction presque perpendiculaire au plan de l'orbite, et la direction de ses mouvements est rétrograde, c'est-à-dire que ses satellites se meuvent en sens inverse des autres astres du monde solaire.] Mais s'ils n'ont jamais quitté leur planète, ils ne sont pas plus avancés que les astronomes de la Terre.
Cependant, le boulet décrivait dans l'ombre cette incalculable trajectoire qu'aucun point de repère ne permettait de relever. Sa direction s'était-elle modifiée, soit sous l'influence de l'attraction lunaire, soit sous l'action d'un astre inconnu? Barbicane ne pouvait le dire. Mais un changement avait eu lieu dans la position relative du véhicule, et Barbicane le constata vers quatre heures du matin.
Ce changement consistait en ceci, que le culot du projectile s'était tourné vers la surface de la Lune et se maintenait suivant une perpendiculaire passant par son axe. L'attraction, c'est-à-dire la pesanteur, avait amené cette modification. La partie la plus lourde du boulet inclinait vers le disque invisible, exactement comme s'il fût tombé vers lui.
Tombait-il donc? Les voyageurs allaient-ils enfin atteindre ce but tant désiré? Non. Et l'observation d'un point de repère, assez inexplicable du reste, vint démontrer à Barbicane que son projectile ne se rapprochait pas de la Lune, et qu'il se déplaçait en suivant une courbe à peu près concentrique.
Ce point de repère fut un éclat lumineux que Nicholl signala tout à coup sur la limite de l'horizon formé par le disque noir. Ce point ne pouvait être confondu avec une étoile. C'était une incandescence rougeâtre qui grossissait peu à peu, preuve incontestable que le projectile se déplaçait vers lui et ne tombait pas normalement à la surface de l'astre.
«Un volcan! c'est un volcan en activité! s'écria Nicholl, un épanchement des feux intérieurs de la Lune! Ce monde n'est donc pas encore tout à fait éteint.