Pour Barbicane, aucun doute n'existait à cet égard. Il observait à travers le vide et ne pouvait commettre aucune erreur d'optique. Il considéra le fait de ces colorations diverses comme acquis à la science. Maintenant ces nuances de vert étaient-elles dues à une végétation tropicale, entretenue par une atmosphère dense et basse? Il ne pouvait encore se prononcer.
Plus loin, il nota une teinte rougeâtre, très suffisamment accusée. Pareille nuance avait été observée déjà sur le fond d'une enceinte isolée, connue sous le nom de cirque de Lichtenberg, qui est située près des monts Hercyniens sur le bord de la Lune, mais il ne put en reconnaître la nature.
Il ne fut pas plus heureux à propos d'une autre particularité du disque, car il ne put en préciser exactement la cause. Voici cette particularité.
Michel Ardan était en observation près du président, quand il remarqua de longues lignes blanches, vivement éclairées par les rayons directs du Soleil. C'était une succession de sillons lumineux très différents du rayonnement que Copernic présentait naguère. Ils s'allongeaient parallèlement les uns aux autres.
Michel, avec son aplomb habituel, ne manqua pas de s'écrier:
«Tiens! des champs cultivés!
--Des champs cultivés? répondit Nicholl, haussant les épaules.
--Labourés tout au moins, répliqua Michel Ardan. Mais quels laboureurs que ces Sélénites, et quels boeufs gigantesques ils doivent atteler à leur charrue pour creuser de tels sillons!
--Ce ne sont pas des sillons, dit Barbicane, ce sont des rainures.
--Va pour des rainures, répondit docilement Michel. Seulement qu'entend-on par des rainures dans le monde scientifique?»
Barbicane apprit aussitôt à son compagnon ce qu'il savait des rainures lunaires. Il savait que c'étaient des sillons observés sur toutes les parties non montagneuses du disque; que ces sillons, le plus souvent isolés, mesurent de quatre à cinquante lieues de longueur; que leur largeur varie de mille à quinze cents mètres, et que leurs bords sont rigoureusement parallèles; mais il n'en savait pas davantage, ni sur leur formation ni sur leur nature.
Barbicane, armé de sa lunette, observa ces rainures avec une extrême attention. Il remarqua que leurs bords étaient formés de pentes extrêmement raides. C'étaient de longs remparts parallèles, et avec quelque imagination on pouvait admettre l'existence de longues lignes de fortifications élevées par les ingénieurs sélénites.
Des ces diverses rainures les unes étaient absolument droites et comme tirées au cordeau. D'autres présentaient une légère courbure tout en maintenant le parallélisme de leurs bords. Celles-ci s'entrecroisaient; celles-là coupaient des cratères. Ici, elles sillonnaient des cavités ordinaires, telles que Posidonius ou Petavius; là, elles zébraient les mers, telles que la mer de la Sérénité.
Ces accidents naturels durent nécessairement exercer l'imagination des astronomes terrestres. Les premières observations ne les avaient pas découvertes, ces rainures. Ni Hévélius, ni Cassini, ni La Hire, ni Herschel ne paraissent les avoir connues. C'est Schroeter qui, en 1789, les signala pour la première fois à l'attention des savants. D'autres suivirent qui les étudièrent, tels que Pastorff, Gruithuysen, Beer et Moedler. Aujourd'hui leur nombre s'élève à soixante-dix. Mais si on les a comptées, on n'a pas encore déterminé leur nature. Ce ne sont pas des fortifications à coup sûr, pas plus que d'anciens lits de rivières desséchées, car d'une part, les eaux si légères à la surface de la Lune n'auraient pu se creuser de tels déversoirs, et de l'autre, ces sillons traversent souvent des cratères placés à une grande élévation.
Il faut pourtant avouer que Michel Ardan eut une idée, et que, sans le savoir, il se rencontra dans cette circonstance avec Julius Schmidt.
«Pourquoi, dit-il, ces inexplicables apparences ne seraient-elles pas tout simplement des phénomènes de végétation?
--Comment l'entends-tu? demanda vivement Barbicane.
--Ne t'emporte pas, mon digne président, répondit Michel.