Jules Verne

Autour s'étalait une plaine grisâtre, d'aspect sauvage, sur laquelle les reliefs se détachaient en jaune. Au fond du cirque, comme enfermés dans un écrin, scintillèrent un instant deux ou trois cônes éruptifs, semblables à d'énormes gemmes éblouissantes. Vers le nord, les remparts se rabaissaient par une dépression qui eût probablement donné accès à l'intérieur du cratère.

En passant au-dessus de la plaine environnante, Barbicane put noter un grand nombre de montagnes peu importantes, et entre autres une petite montagne annulaire nommée Gay-Lussac, et dont la largeur mesure vingt-trois kilomètres. Vers le sud, la plaine se montrait très plate, sans une extumescence, sans un ressaut du sol. Vers le nord, au contraire, jusqu'à l'endroit où elle confinait à l'océan des Tempêtes, c'était comme une surface liquide agitée par un ouragan, dont les pitons et les boursouflures figuraient une succession de lames subitement figées. Sur tout cet ensemble et en toutes directions couraient les traînées lumineuses qui convergeaient au sommet de Copernic. Quelques-uns offraient une largeur de trente kilomètres sur une longueur inévaluable.

Les voyageurs discutaient l'origine de ces étranges rayons, et pas plus que les observateurs terrestres, ils ne pouvaient en déterminer la nature.

«Mais pourquoi, disait Nicholl, ces rayons ne seraient-ils pas tout simplement des contreforts de montagnes qui réfléchissent plus vivement la lumière du soleil?

--Non, répondit Barbicane, s'il en était ainsi, dans certaines conditions de la Lune, ces arêtes projetteraient des ombres. Or, elles n'en projettent pas.»

En effet, ces rayons n'apparaissent qu'à l'époque où l'astre du jour se place en opposition avec la Lune, et ils disparaissent dès que ses rayons deviennent obliques.

«Mais qu'a-t-on imaginé pour expliquer ces traînées de lumières, demanda Michel, car je ne puis croire que des savants restent jamais à court d'explications!

--Oui, répondit Barbicane, Herschel a formulé une opinion, mais il n'osait l'affirmer.

--N'importe. Quelle est cette opinion?

--Il pensait que ces rayons devaient être des courants de laves refroidis qui resplendissaient lorsque le soleil les frappait normalement. Cela peut être, mais rien n'est moins certain. Du reste, si nous passons plus près de Tycho, nous serons mieux placés pour reconnaître la cause de ce rayonnement.

--Savez-vous, mes amis, à quoi ressemble cette plaine vue de la hauteur où nous sommes? dit Michel.

--Non, répondit Nicholl.

--Eh bien, avec tous ces morceaux de laves allongés comme des fuseaux, elle ressemble à un immense jeu de jonchets jetés pêle-mêle. Il ne manque qu'un crochet pour les retirer un à un.

--Sois donc sérieux! dit Barbicane.

--Soyons sérieux, répliqua tranquillement Michel, et au lieu de jonchets, mettons des ossements. Cette plaine ne serait alors qu'un immense ossuaire sur lequel reposeraient les dépouilles mortelles de mille générations éteintes. Aimes-tu mieux cette comparaison à grand effet?

--L'une vaut l'autre, répliqua Barbicane.

--Diable! tu es difficile! répondit Michel.

--Mon digne ami, reprit le positif Barbicane, peu importe de savoir à quoi cela ressemble, du moment que l'on ne sait pas ce que cela est.

--Bien répondu, s'écria Michel. Cela m'apprendra à raisonner avec des savants!»

Cependant, le projectile s'avançait avec une vitesse presque uniforme en prolongeant le disque lunaire. Les voyageurs, on l'imagine aisément, ne songeaient pas à prendre un instant de repos. Chaque minute déplaçait le paysage qui fuyait sous leurs yeux. Vers une heure et demie du matin, ils entrevirent les sommets d'une autre montagne. Barbicane, consultant sa carte, reconnut Eratosthène.

C'était une montagne annulaire haute de quatre mille cinq cents mètres, l'un de ces cirques si nombreux sur le satellite. Et, à ce propos, Barbicane rapporta à ses amis la singulière opinion de Képler sur la formation de ces cirques. Suivant le célèbre mathématicien, ces cavités cratériformes avaient dû être creusées par la main des hommes.