Jules Verne

Mais, pour fonctionner régulièrement, il fallait que cet appareil fût tenu en parfait état. Aussi, chaque matin, Michel visitait les régulateurs d'écoulement, essayait les robinets, et réglait au pyromètre la chaleur du gaz. Tout marchait bien jusqu'alors, et les voyageurs, imitant le digne J.-T. Maston, commençaient à prendre un embonpoint qui les eût rendus méconnaissables, si leur emprisonnement se fût prolongé pendant quelques mois. Ils se comportaient, en un mot, comme se comportent des poulets en cage: ils engraissaient.

En regardant à travers les hublots, Barbicane vit le spectre du chien et les divers objets lancés hors du projectile qui l'accompagnaient obstinément. Diane hurlait mélancoliquement en apercevant les restes de Satellite. Ces épaves semblaient aussi immobiles que si elles eussent reposé sur un terrain solide.

«Savez-vous, mes amis, disait Michel Ardan, que si l'un de nous eût succombé au contrecoup du départ, nous aurions été fort gênés pour l'enterrer, que dis-je, pour l'«éthérer», puisque ici l'éther remplace la Terre! Voyez-vous ce cadavre accusateur qui nous aurait suivis dans l'espace comme un remords!

--C'eût été triste, dit Nicholl.

--Ah! reprit Michel, ce que je regrette, c'est de ne pouvoir faire une promenade à l'extérieur. Quelle volupté de flotter au milieu de ce radieux éther, de se baigner, de se rouler dans ces purs rayons de soleil! Si Barbicane avait seulement pensé à se munir d'un appareil de scaphandre et d'une pompe à air, je me serais aventuré au dehors, et j'aurais pris des attitudes de chimère et d'hippogryphe sur le sommet du projectile.

--Eh bien, mon vieux Michel, répondit Barbicane, tu n'aurais pas fait longtemps l'hippogryphe, car, malgré ton habit de scaphandre, gonflé sous l'expansion de l'air contenu en toi, tu aurais éclaté comme un obus, ou plutôt comme un ballon qui s'élève trop haut dans l'air. Donc ne regrette rien, et n'oublie pas ceci: Tant que nous flotterons dans le vide, il faut t'interdire toute promenade sentimentale hors du projectile!»

Michel Ardan se laissa convaincre dans une certaine mesure. Il convint que la chose était difficile, mais non pas «impossible», mot qu'il ne prononçait jamais.

La conversation, de ce sujet, passa à un autre, et ne languit pas un instant. Il semblait aux trois amis que dans ces conditions les idées leur poussaient au cerveau comme les feuilles poussent aux premières chaleurs du printemps. Ils se sentaient touffus.

Au milieu des demandes et des réponses qui se croisèrent pendant cette matinée, Nicholl posa une certaine question qui ne trouva pas de solution immédiate.

«Ah çà! dit-il, c'est très bien d'aller dans la Lune, mais comment en reviendrons-nous?»

Ses deux interlocuteurs se regardèrent d'un air surpris. On eût dit que cette éventualité se formulait pour la première fois devant eux.

«Qu'entendez-vous par-là, Nicholl? demanda gravement Barbicane.

--Demander à revenir d'un pays, ajouta Michel, quand on n'y est pas encore arrivé, me paraît inopportun.

--Je ne dis pas cela pour reculer, répliqua Nicholl, mais je réitère ma question, et je demande: Comment reviendrons-nous?

--Je n'en sais rien, répondit Barbicane.

--Et moi, dit Michel, si j'avais su comment en revenir, je n'y serais point allé.

--Voilà répondre, s'écria Nicholl.

--J'approuve les paroles de Michel, dit Barbicane, et j'ajoute que la question n'a aucun intérêt actuel. Plus tard, quand nous jugerons convenable de revenir, nous aviserons. Si la Columbiad n'est plus là, le projectile y sera toujours.

--Belle avance! Une balle sans fusil!

--Le fusil, répondit Barbicane, on peut le fabriquer. La poudre, on peut la faire! Ni les métaux, ni le salpêtre, ni le charbon ne doivent manquer aux entrailles de la Lune. D'ailleurs, pour revenir, il ne faut vaincre que l'attraction lunaire, et il suffit d'aller à huit mille lieues pour retomber sur le globe terrestre en vertu des seules lois de la pesanteur.

--Assez, dit Michel en s'animant. Qu'il ne soit plus question de retour! Nous en avons déjà trop parlé.