Jules Verne

Je crains, ma pauvre Diane, que tu ne fasses pas souche dans les régions lunaires!»

En effet, l'infortuné Satellite n'avait pu survivre à sa blessure. Il était mort et bien mort. Michel Ardan très décontenancé, regardait ses amis.

«Il se présente une question, dit Barbicane. Nous ne pouvons garder avec nous le cadavre de ce chien pendant quarante-huit heures encore.

--Non, sans doute, répondit Nicholl, mais nos hublots sont fixés par des charnières. Ils peuvent se rabattre. Nous ouvrirons l'un des deux et nous jetterons ce corps dans l'espace.»

Le président réfléchit pendant quelques instants. et dit:

«Oui, il faudra procéder ainsi, mais en prenant les plus minutieuses précautions.

--Pourquoi? demanda Michel.

--Pour deux raisons que tu vas comprendre répondit Barbicane. La première est relative à l'air renfermé dans le projectile, et dont il ne faut perdre que le moins possible.

--Mais puisque nous le refaisons, cet air!

--En partie seulement. Nous ne refaisons que l'oxygène, mon brave Michel, -- et à ce propos veillons bien à ce que l'appareil ne fournisse pas cet oxygène en quantité immodérée, car cet excès amènerait en nous des troubles physiologiques très graves. Mais si nous refaisons l'oxygène, nous ne refaisons pas l'azote, ce véhicule que les poumons n'absorbent pas et qui doit demeurer intact. Or, cet azote s'échapperait rapidement par les hublots ouverts.

--Oh! le temps de jeter ce pauvre Satellite, dit Michel.

--D'accord, mais agissons rapidement.

--Et la seconde raison? demanda Michel.

--La seconde raison, c'est qu'il ne faut pas laisser le froid extérieur, qui est excessif, pénétrer dans le projectile, sous peine d'être gelés vivants.

--Cependant, le Soleil...

--Le Soleil échauffe notre projectile qui absorbe ses rayons, mais il n'échauffe pas le vide où nous flottons en ce moment. Où il n'y a pas d'air, il n'y a pas plus de chaleur que de lumière diffuse, et de même qu'il fait noir, il fait froid là où les rayons du Soleil n'arrivent pas directement. Cette température n'est donc autre que la température produite par le rayonnement stellaire, c'est-à-dire celle que subirait le globe terrestre si le Soleil s'éteignait un jour.

--Ce qui n'est pas à craindre, répondit Nicholl.

--Qui sait? dit Michel Ardan. D'ailleurs, en admettant que le Soleil ne s'éteigne pas, ne peut-il arriver que la Terre s'éloigne de lui?

--Bon! fit Barbicane, voilà Michel avec ses idées!

--Eh! reprit Michel, ne sait-on pas que la Terre a traversé la queue d'une comète en 1861? Or, supposons une comète dont l'attraction soit supérieure à l'attraction solaire, l'orbite terrestre se courbera vers l'astre errant, et la Terre, devenue son satellite, sera entraînée à une distance telle que les rayons du Soleil n'auront plus aucune action à sa surface.

--Cela peut se produire, en effet, répondit Barbicane, mais les conséquences d'un pareil déplacement pourraient bien ne pas être aussi redoutables que tu le supposes.

--Et pourquoi?

--Parce que le froid et le chaud s'équilibreraient encore sur notre globe. On a calculé que si la Terre eût été entraînée par la comète de 1861, elle n'aurait pas ressenti, à sa plus grande distance du Soleil, une chaleur seize fois supérieure à celle que nous envoie la Lune, chaleur qui, concentrée au foyer des plus fortes lentilles, ne produit aucun effet appréciable.

--Eh bien? fit Michel.

--Attends un peu, répondit Barbicane. On calculé aussi, qu'à son périhélie, à sa distance la plus rapprochée du Soleil, la Terre aurait supporté une chaleur égale à vingt-huit mille fois celle de l'été. Mais cette chaleur, capable de vitrifier les matières terrestres et de vaporiser les eaux, eût formé un épais anneau de nuages qui aurait amoindri cette température excessive. De là, compensation entre les froids de l'aphélie et les chaleurs du périhélie, et une moyenne probablement supportable.

--Mais à combien de degrés estime-t-on la température des espaces planétaires? demanda Nicholl.

--Autrefois, répondit Barbicane, on croyait que cette température était excessivement basse.