Jules Verne

--Parfaitement. Nicholl et moi, nous l'eussions établi, si la note de l'Observatoire ne nous eût évité cette peine.

--Eh bien, mon vieux Barbicane, répondit Michel, on m'eût plutôt coupé la tête, en commençant par les pieds, que de me faire résoudre ce problème-là!

--Parce que tu ne sais pas l'algèbre, répliqua tranquillement Barbicane.

--Ah! vous voilà bien, vous autres, mangeurs d'_x_! Vous croyez avoir tout dit quand vous avez dit: l'algèbre.

--Michel, répliqua Barbicane, crois-tu qu'on puisse forger sans marteau ou labourer sans charrue?

--Difficilement.

--Eh bien, l'algèbre est un outil, comme la charrue ou le marteau, et un bon outil pour qui sait l'employer.

--Sérieusement?

--Très sérieusement.

--Et tu pourrais manier cet outil-là devant moi?

--Si cela t'intéresse.

--Et me montrer comment on a calculé la vitesse initiale de notre wagon?

--Oui, mon digne ami. En tenant compte de tous les éléments du problème, de la distance du centre de la Terre au centre de la Lune, du rayon de la Terre, de la masse de la Terre, de la masse de la Lune, je puis établir exactement quelle a dû être la vitesse initiale du projectile, et cela par une simple formule.

--Voyons la formule.

--Tu la verras. Seulement, je ne te donnerai pas la courbe tracée réellement par le boulet entre la Lune et la Terre, en tenant compte de leur mouvement de translation autour du Soleil. Non. Je considérerai ces deux astres comme immobiles, ce qui nous suffit.

--Et pourquoi?

--Parce que ce serait chercher la solution de ce problème qu'on appelle «le problème des trois corps», et que le calcul intégral n'est pas encore assez avancé pour le résoudre.

--Tiens, fit Michel Ardan de son ton narquois, les mathématiques n'ont donc pas dit leur dernier mot?

--Certainement non, répondit Barbicane.

--Bon! Peut-être les Sélénites ont-ils poussé plus loin que vous le calcul intégral! Et à propos, qu'est-ce que ce calcul intégral?

--C'est un calcul qui est l'inverse du calcul différentiel, répondit sérieusement Barbicane.

--Bien obligé.

--Autrement dit, c'est un calcul par lequel on cherche les quantités finies dont on connaît la différentielle.

--Au moins, voilà qui est clair, répondit Michel d'un air on ne peut plus satisfait.

--Et maintenant, reprit Barbicane, un bout de papier, un bout de crayon, et avant une demi-heure je veux avoir trouvé la formule demandée.»

Barbicane, cela dit, s'absorba dans son travail, tandis que Nicholl observait l'espace, laissant à son compagnon le soin du déjeuner.

Une demi-heure ne s'était pas écoulée que Barbicane, relevant la tête, montrait à Michel Ardan une page couverte de signes algébriques, au milieu desquels se détachait cette formule générale:

% 1 2 2 r m' r r % - (v - v ) = gr { --- - 1 + --- ( --- - ---) } % 2 0 x m d-x d-r

\( \frac{1}{2}\left(v^2-v_0^2\right)= gr\left\{\frac{r}{x}-1+\frac{m'}{m}\left(\frac{r}{d-x}- \frac{r}{d-r}\right)\right\} \)

«Et cela signifie?..., demanda Michel

--Cela signifie, répondit Nicholl, que: un demi de _v_ deux moins _v_ zéro carré, égale _gr_ multiplié par _r_ sur _x_ moins un, plus _m_ prime sur _m_ multiplié par _r_ sur _d_ moins _x_, moins _r_ sur _d_ moins _r_...

--_X_ sur _y_ monté sur _z_ et chevauchant sur _p_, s'écria Michel Ardan en éclatant de rire. Et tu comprends cela, capitaine?

--Rien n'est plus clair.

--Comment donc! dit Michel. Mais cela saute aux yeux, et je n'en demande pas davantage.

--Rieur sempiternel! répliqua Barbicane. Tu as voulu de l'algèbre, et tu en auras jusqu'au menton!

--J'aime mieux qu'on me pende!

--En effet, répondit Nicholl, qui examinait la formule en connaisseur, ceci me paraît bien trouvé, Barbicane. C'est l'intégrale de l'équation des forces vives, et je ne doute pas qu'elle ne nous donne le résultat cherché.

--Mais je voudrais comprendre! s'écria Michel. Je donnerais dix ans de la vie de Nicholl pour comprendre!

--Ecoute alors, reprit Barbicane.