Jules Verne

Mais celui dont il s'agit ici. c'était l'échénélde ostéochère, particulier à cette mer. Nos marins, a mesure qu'ils les prenaient, les déposaient dans des bailles pleines d'eau.

La pêche terminée, le _Nautilus_ se rapprocha de la côte. En cet endroit, un certain nombre de tortues marines dormaient à la surface des flots. Il eût été difficile de s'emparer de ces précieux reptiles, car le moindre bruit les éveille, et leur solide carapace est à l'épreuve du harpon. Mais l'échénéïde devait opérer cette capture avec une sûreté et une précision extraordinaires. Cet animal, en effet, est un hameçon vivant, qui ferait le bonheur et la fortune du naïf pêcheur a la ligne.

Les hommes du Naulilus attachèrent à la queue de ces poissons un anneau assez large pour ne pas gêner leurs mouvements, et à cet anneau, une longue corde amarrée à bord par l'autre bout.

Les échénéïdes, jetés à la mer, commencèrent aussitôt leur rôle et allèrent se fixer au plastron des tortues. Leur ténacité était telle qu'ils se fussent déchirés plutôt que de lâcher prise. On les halait à bord, et avec eux les tortues auxquelles ils adhéraient.

On prit ainsi plusieurs cacouannes, larges d'un mètre, qui pesaient deux cents kilos. Leur carapace, couverte de plaques cornées grandes, minces, transparentes, brunes, avec mouchetures blanches et jaunes, les rendaient très précieuses. En outre, elles étaient excellentes au point de vue comestible, ainsi que les tortues franches qui sont d'un goût exquis.

Cette pêche termina notre séjour sur les parages de l'Amazone, et, la nuit venue, le _Nautilus_ regagna la haute mer.

XVIII

LES POULPES

Pendant quelques jours, le _Nautilus_ s'écarta constamment de la côte américaine. Il ne voulait pas, évidemment, fréquenter les flots du golfe du Mexique ou de la mer des Antilles. Cependant, l'eau n'eût pas manqué sous sa quille, puisque la profondeur moyenne de ces mers est de dix-huit cents mètres ; mais, probablement ces parages, semés d'îles et sillonnés de steamers, ne convenaient pas au capitaine Nemo.

Le 16 avril, nous eûmes connaissance de la Martinique et de la Guadeloupe, à une distance de trente milles environ. J'aperçus un instant leurs pitons élevés.

Le Canadien, qui comptait mettre ses projets à exécution dans le golfe, soit en gagnant une terre, soit en accostant un des nombreux bateaux qui font le cabotage d'une île à l'autre, fut très décontenancé. La fuite eût été très praticable si Ned Land fût parvenu a s'emparer du canot à l'insu du capitaine. Mais en plein Océan, il ne fallait plus y songer.

La Canadien, Conseil et moi, nous eûmes une assez longue conversation à ce sujet. Depuis six mois nous étions prisonniers à bord du _Nautilus_. Nous avions fait dix-sept mille lieues, et, comme le disait Ned Land, il n'y avait pas de raison pour que cela finît. Il me fit donc une proposition à laquelle je ne m'attendais pas. Ce fut de poser catégoriquement cette question au capitaine Nemo : Le capitaine comptait-il nous garder indéfiniment à son bord ?

Une semblable démarche me répugnait. Suivant moi, elle ne pouvait aboutir. Il ne fallait rien espérer du commandant du _Nautilus_, mais tout de nous seuls. D'ailleurs, depuis quelque temps, cet homme devenait plus sombre, plus retiré, moins sociable. Il paraissait m'éviter. Je ne le rencontrais qu'à de rares intervalles. Autrefois, il se plaisait à m'expliquer les merveilles sous-marines ; maintenant il m'abandonnait à mes études et ne venait plus au salon.

Quel changement s'était opéré en lui ? Pour quelle cause ? Je n'avais rien à me reprocher. Peut-être notre présence à bord lui pesait-elle ? Cependant, je ne devais pas espérer qu'il fût homme à nous rendre la liberté.

Je priai donc Ned de me laisser réfléchir avant d'agir. Si cette démarche n'obtenait aucun résultat, elle pouvait raviver ses soupçons, rendre notre situation pénible et nuire aux projets du Canadien. J'ajouterai que je ne pouvais en aucune façon arguer de notre santé.