Jules Verne

Ned Land le comprit sans doute, car il ne me parla de rien. De mon côté, je ne fis aucune allusion à ses projets de fuite, car je ne voulais pas le pousser à quelque tentative qui eût infailliblement avorté.

Je me dédommageai facilement de ce retard par d'intéressantes études. Pendant ces deux journées des 11 et 12 avril, le _Nautilus_ ne quitta pas la surface de la mer, et son chalut lui ramena toute une pêche miraculeuse en zoophytes, en poissons et en reptiles.

Quelques zoophytes avaient été dragues par la chaîne des chaluts. C'étaient, pour la plupart, de belles phyctallines, appartenant à la famille des actinidiens. et entre autres espèces, le _phyctalis protexta_, originaire de cette partie de l'Océan, petit tronc cylindrique, agrémenté de lignes verticales et tacheté de points rouges que couronne un merveilleux épanouissement de tentacules. Quant aux mollusques, ils consistaient en produits que j'avais déjà observés, des turritelles, des olives-porphyres. à lignes régulièrement entrecroisées dont les taches rousses se relevaient vivement sur un fond de chair. des ptérocères fantaisistes, semblables à des scorpions pétrifiés, des hyales translucides, des argonautes, des seiches excellentes à manger, et certaines espèces de calmars, que les naturalistes de l'antiquité classaient parmi les poissons-volants, et qui servent principalement d'appât pour la pêche de la morue.

Des poissons de ces parages que je n'avais pas encore eu l'occasion d'étudier, je notai diverses espèces. Parmi les cartilagineux : des pétromizons-pricka, sortes d'anguilles, longues de quinze pouces, tête verdâtre, nageoires violettes, dos gris bleuâtre, ventre brun argenté semé de taches vives, iris des yeux cerclé d'or, curieux animaux que le courant de l'Amazone avait dû entraîner jusqu'en mer, car ils habitent les eaux douces ; des raies tuberculées, à museau pointu, à queue longue et déliée, armées d'un long aiguillon dentelé ; de petits squales d'un mètre, gris et blanchâtres de peau, dont les dents, disposées sur plusieurs rangs, se recourbent en arrière. et qui sont vulgairement connus sous le nom de pantouffliers ; des lophies-vespertillions, sortes de triangles isocèles rougeâtres, d'un demi-mètre, auxquels les pectorales tiennent par des prolongations charnues qui leur donnent l'aspect de chauves-souris, mais que leur appendice corné, situé près des narines, a fait surnommer licornes de mer ; enfin quelques espèces de batistes, le curassavien dont les flancs pointillés brillent d'une éclatante couleur d'or, et le caprisque violet clair, à nuances chatoyantes comme la gorge d'un pigeon.

Je termine là cette nomenclature un peu sèche, mais très exacte, par la série des poissons osseux que j'observai : passans, appartenant au genre des apléronotes. dont le museau est très obtus et blanc de neige, le corps peint d'un beau noir, et qui sont munis d'une lanière charnue très longue et très déliée ; odontagnathes aiguillonnés, longues sardines de trois décimètres, resplendissant d'un vif éclat argenté ; scombres-guares, pourvus de deux nageoires anales ; centronotes-nègres, à teintes noires, que l'on pêche avec des brandons, longs poissons de deux mètres, à chair grasse, blanche, ferme, qui, frais, ont le goût de l'anguille, et secs, le goût du saumon fumé ; labres demi-rouges, revêtus d'écailles seulement à la base des nageoires dorsales et anales ; chrysoptères, sur lesquels l'or et l'argent mêlent leur éclat à ceux du rubis et de la topaze ; spares-queues-d'or, dont la chair est extrêmement délicate, et que leurs propriétés phosphorescentes trahissent au milieu des eaux ; spares-pobs, à langue fine, à teintes orange ; sciènes-coro à caudales d'or, acanthures-noirauds, anableps de Surinam, etc.

Cet « et coetera » ne saurait empêcher de citer encore un poisson dont Conseil se souviendra longtemps et pour cause.

Un de nos filets avait rapporté une sorte de raie très aplatie qui, la queue coupée, eût formé un disque parfait et qui pesait une vingtaine de kilogrammes. Elle était blanche en dessous, rougeâtre en dessus, avec de grandes taches rondes d'un bleu foncé et cerclées de noir, très lisse de peau, et terminée par une nageoire bilobée.