Jules Verne

Il s'était croisé les bras. Il réfléchissait. Le _Nautilus_ ne bougeait plus.

Le capitaine prit alors la parole :

« Messieurs, dit-il d'une voix calme, il y a deux manières de mourir dans les conditions où nous sommes. »

Cet inexplicable personnage avait l'air d'un professeur de mathématiques qui fait une démonstration à ses élèves.

« La première, reprit-il, c'est de mourir écrasés. La seconde, c'est de mourir asphyxiés. Je ne parle pas de la possibilité de mourir de faim, car les approvisionnements du _Nautilus_ dureront certainement plus que nous. Préoccupons-nous donc des chances d'écrasement ou d'asphyxie.

-- Quant à l'asphyxie, capitaine, répondis-je, elle n'est pas à craindre, car nos réservoirs sont pleins.

-- Juste, reprit le capitaine Nemo, mais ils ne donneront que deux jours d'air. Or, voilà trente-six heures que nous sommes enfouis sous les eaux, et déjà l'atmosphère alourdie du _Nautilus_ demande à être renouvelée. Dans quarante-huit heures, notre réserve sera épuisée.

-- Eh bien, capitaine, soyons délivrés avant quarante-huit heures !

-- Nous le tenterons, du moins, en perçant la muraille qui nous entoure.

-- De quel côté ? demandai-je.

-- C'est ce que la sonde nous apprendra. Je vais échouer le _Nautilus_ sur le banc inférieur, et mes hommes, revêtus de scaphandres, attaqueront l'iceberg par sa paroi la moins épaisse.

-- Peut-on ouvrir les panneaux du salon ?

-- Sans inconvénient. Nous ne marchons plus. »

Le capitaine Nemo sortit. Bientôt des sifflements m'apprirent que l'eau s'introduisait dans les réservoirs. Le _Nautilus_ s'abaissa lentement et reposa sur le fond de glace par une profondeur de trois cent cinquante mètres, profondeur à laquelle était immergé le banc de glace inférieur.

« Mes amis, dis-je, la situation est grave, mais je compte sur votre courage et sur votre énergie.

-- Monsieur, me répondit le Canadien, ce n'est pas dans ce moment que je vous ennuierai de mes récriminations. Je suis prêt à tout faire pour le salut commun.

-- Bien, Ned, dis-je en tendant la main au Canadien.

-- J'ajouterai, reprit-il, qu'habile à manier le pic comme le harpon, si je puis être utile au capitaine, il peut disposer de moi.

-- Il ne refusera pas votre aide. Venez, Ned. »

Je conduisis le Canadien à la chambre ou les hommes du _Nautilus_ revêtaient leurs scaphandres. Je fis part au capitaine de la proposition de Ned, qui fut acceptée. Le Canadien endossa son costume de mer et fut aussitôt prêt que ses compagnons de travail. Chacun d'eux portait sur son dos l'appareil Rouquayrol auquel les réservoirs avaient fourni un large continent d'air pur. Emprunt considérable, mais nécessaire, fait à la réserve du _Nautilus_. Quant aux lampes Ruhmkorff, elles devenaient inutiles au milieu de ces eaux lumineuses et saturées de rayons électriques.

Lorsque Ned fut habillé, je rentrai dans le salon dont les vitres étaient découvertes, et, posté près de Conseil. j'examinai les couches ambiantes qui supportaient le _Nautilus_.

Quelques instants après, nous voyions une douzaine d'hommes de l'équipage prendre pied sur le banc de glace, et parmi eux Ned Land, reconnaissable à sa haute taille. Le capitaine Nemo était avec eux.

Avant de procéder au creusement des murailles, il fit pratiquer des sondages qui devaient assurer la bonne direction des travaux. De longues sondes furent enfoncées dans les parois latérales ; mais après quinze mètres, elles étaient encore arrêtées par l'épaisse muraille. Il était inutile de s'attaquer à la surface plafonnante, puisque c'était la banquise elle-même qui mesurait plus de quatre cents mètres de hauteur. Le capitaine Nemo fit alors sonder la surface inférieure. Là dix mètres de parois nous séparaient de l'eau. Telle était l'épaisseur de cet ice-field. Dès lors, il s'agissait d'en découper un morceau égal en superficie à la ligne de flottaison du _Nautilus_. C'était environ six mille cinq cents mètres cubes à détacher, afin de creuser un trou par lequel nous descendrions au-dessous du champ de glace.