Jules Verne

-- Vous le connaissez, capitaine ?

-- Pourquoi pas, monsieur Aronnax ? »

Cela dit, le capitaine Nemo se dirigea vers un meuble placé près du panneau gauche du salon. Près de ce meuble, je vis un coffre cerclé de fer, dont le couvercle portait sur une plaque de cuivre le chiffre du _Nautilus_, avec sa devise _Mobilis in mobile_.

En ce moment, le capitaine, sans se préoccuper de ma présence, ouvrit le meuble, sorte de coffre-fort qui renfermait un grand nombre de lingots.

C'étaient des lingots d'or. D'où venait ce précieux métal qui représentait une somme énorme ? Où le capitaine recueillait-il cet or, et qu'allait-il faire de celui-ci ?

Je ne prononçai pas un mot. Je regardai. Le capitaine Nemo prit un à un ces lingots et les rangea méthodiquement dans le coffre qu'il remplit entièrement. J'estimai qu'il contenait alors plus de mille kilogrammes d'or, c'est-à-dire près de cinq millions de francs.

Le coffre fut solidement fermé, et le capitaine écrivit sur son couvercle une adresse en caractères qui devaient appartenir au grec moderne.

Ceci fait, le capitaine Nemo pressa un bouton dont le fil correspondait avec le poste de l'équipage. Quatre homme parurent, et non sans peine ils poussèrent le coffre hors du salon. Puis, j'entendis qu'ils le hissaient au moyen de palans sur l'escalier de fer.

En ce moment, le capitaine Nemo se tourna vers moi :

« Et vous disiez. monsieur le professeur ? me demanda-t-il.

-- Je ne disais rien, capitaine.

-- Alors, monsieur, vous me permettrez de vous souhaiter le bonsoir. »

Et sur ce, le capitaine Nemo quitta le salon.

Je rentrai dans ma chambre très intrigué, on le conçoit. J'essayai vainement de dormir. Je cherchais une relation entre l'apparition de ce plongeur et ce coffre rempli d'or. Bientôt, je sentis à certains mouvements de roulis et de tangage, que le _Nautilus_ quittant les couches inférieures revenait à la surface des eaux.

Puis, j'entendis un bruit de pas sur la plate-forme. Je compris que l'on détachait le canot, qu'on le lançait à la mer. Il heurta un instant les flancs du _Nautilus_, et tout bruit cessa.

Deux heures après, le même bruit, les mêmes allées et venues se reproduisaient. L'embarcation, hissée à bord, était rajustée dans son alvéole, et le _Nautilus_ se replongeait sous les flots.

Ainsi donc, ces millions avaient été transportés à leur adresse. Sur quel point du continent ? Quel était le correspondant du capitaine Nemo ?

Le lendemain, je racontai à Conseil et au Canadien les événements de cette nuit, qui surexcitaient ma curiosité au plus haut point. Mes compagnons ne furent pas moins surpris que moi.

« Mais où prend-il ces millions ? » demanda Ned Land.

A cela, pas de réponse possible. Je me rendis au salon après avoir déjeuné, et je me mis au travail. Jusqu'à cinq heures du soir, je rédigeai mes notes. En ce moment -- devais-je l'attribuer à une disposition personnelle -- je sentis une chaleur extrême, et je dus enlever mon vêtement de byssus. Effet incompréhensible, car nous n'étions pas sous de hautes latitudes, et d'ailleurs le _Nautilus_, immergé, ne devait éprouver aucune élévation de température. Je regardai le manomètre. Il marquait une profondeur de soixante pieds, à laquelle la chaleur atmosphérique n'aurait pu atteindre.

Je continuai mon travail. mais la température s'éleva au point de devenir intolérable.

« Est-ce que le feu serait à bord ? » me demandai-je.

J'allais quitter le salon, quand le capitaine Nemo entra. Il s'approcha du thermomètre, le consulta, et se retournant vers moi :

« Quarante-deux degrés, dit-il.

-- Je m'en aperçois, capitaine, répondis-je, et pour peu que cette chaleur augmente, nous ne pourrons la supporter.

-- Oh ! monsieur le professeur, cette chaleur n'augmentera que si nous le voulons bien.

-- Vous pouvez donc la modérer à votre gré ?

-- Non, mais je puis m'éloigner du foyer qui la produit.

-- Elle est donc extérieure ?

-- Sans doute. Nous flottons dans un courant d'eau bouillante.

-- Est-il possible ? m'écriai-je.