Jules Verne

Je pêchai donc un grand nombre de poissons aux environs de Suez. Je leur passai à la queue un anneau de cuivre, et je les rejetai à la mer. Quelques mois plus tard, sur les côtes de Syrie, je reprenais quelques échantillons de mes poissons ornés de leur anneau indicateur. La communication entre les deux m'était donc démontrée. Je la cherchai avec mon _Nautilus_, je la découvris, je m'y aventurai, et avant peu, monsieur le professeur, vous aussi vous aurez franchi mon tunnel arabique ! »

V

ARABIAN-TUNNEL

Ce jour même, je rapportai à Conseil et à Ned Land la partie de cette conversation qui les intéressait directement. Lorsque je leur appris que, dans deux jours, nous serions au milieu des eaux de la Méditerranée, Conseil battit des mains, mais le Canadien haussa les épaules.

« Un tunnel sous-marin ! s'écria-t-il, une communication entre les deux mers ! Qui a jamais entendu parler de cela ?

-- Ami Ned, répondit Conseil, aviez-vous jamais entendu parler du _Nautilus_ ? Non ! il existe cependant. Donc, ne haussez pas les épaules si légèrement, et ne repoussez pas les choses sous prétexte que vous n'en avez Jamais entendu parler.

-- Nous verrons bien ! riposta Ned Land, en secouant la tête. Après tout, je ne demande pas mieux que de croire à son passage, à ce capitaine, et fasse le ciel qu'il nous conduise, en effet, dans la Méditerranée. »

Le soir même, par 21°30' de latitude nord, le _Nautilus_, flottant à la surface de la mer, se rapprocha de la côte arabe. J'aperçus Djeddah, important comptoir de l'Égypte, de la Syrie, de la Turquie et des Indes. Je distinguai assez nettement l'ensemble de ses constructions, les navires amarrés le long des quais, et ceux que leur tirant d'eau obligeait à mouiller en rade. Le soleil, assez bas sur l'horizon, frappait en plein les maisons de la ville et faisait ressortir leur blancheur. En dehors, quelques cabanes de bois ou de roseaux indiquaient le quartier habité par les Bédouins.

Bientôt Djeddah s'effaça dans les ombres du soir, et le _Nautilus_ rentra sous les eaux légèrement phosphorescentes.

Le lendemain, 10 février, plusieurs navires apparurent qui couraient à contre-bord de nous. Le _Nautilus_ reprit sa navigation sous-marine ; mais à midi, au moment du point, la mer étant déserte, il remonta jusqu'à sa ligne de flottaison.

Accompagné de Ned et de Conseil, je vins m'asseoir sur la plate-forme. La côte à l'est se montrait comme une masse à peine estompée dans un humide brouillard.

Appuyés sur les flancs du canot, nous causions de choses et d'autres, quand Ned Land tendant sa main vers un point de la mer, me dit :

« Voyez-vous là quelque chose, monsieur le professeur ?

-- Non, Ned, répondis-je, mais je n'ai pas vos yeux, vous le savez.

-- Regardez bien, reprit Ned, là, par tribord devant, à peu près à la hauteur du fanal ! Vous ne voyez pas une masse qui semble remuer ?

-- En effet, dis-je, après une attentive observation, j'aperçois comme un long corps noirâtre à la surface des eaux.

-- Un autre _Nautilus_ ? dit Conseil.

-- Non, répondit le Canadien, mais je me trompe fort, ou c'est là quelque animal marin.

-- Y a-t-il des baleines dans la mer Rouge ? demanda Conseil.

-- Oui, mon garçon, répondis-je, on en rencontre quelquefois.

-- Ce n'est point une baleine, reprit Ned Land, qui ne perdait pas des yeux l'objet signalé. Les baleines et moi, nous sommes de vieilles connaissances, et je ne me tromperais pas à leur allure.

-- Attendons, dit Conseil. Le _Nautilus_ se dirige de ce côté, et avant peu nous saurons à quoi nous en tenir. »

En effet, cet objet noirâtre ne fut bientôt qu'à un mille de nous. Il ressemblait à un gros écueil échoué en pleine mer. Qu'était-ce ? Je ne pouvais encore me prononcer.

« Ah ! il marche ! il plonge ! s'écria Ned Land. Mille diables ! Quel peut être cet animal ? Il n'a pas la queue bifurquée comme les baleines ou les cachalots, et ses nageoires ressemblent à des membres tronqués.

-- Mais alors...., fis-je.