Jules Verne

-- Laquelle ?

-- C'est que si tous les oeufs éclosaient, il suffirait de quatre morues pour alimenter l'Angleterre, l'Amérique et la Norvège. »

Pendant que nous effleurions les fonds du banc de Terre-Neuve, je vis parfaitement ces longues lignes, armées de deux cents hameçons, que chaque bateau tend par douzaines. Chaque ligne entraînée par un bout au moyen d'un petit grappin, était retenue a la surface par un orin fixé sur une bouée de liège. Le _Nautilus_ dut manoeuvrer adroitement au milieu de ce réseau sous-marin.

D'ailleurs il ne demeura pas longtemps dans ces parages fréquentés. Il s'éleva jusque vers le quarante-deuxième degré de latitude. C'était à la hauteur de Saint-Jean de Terre-Neuve et de Heart's Content, où aboutit l'extrémité du câble transatlantique.

Le _Nautilus_, au lieu de continuer à marcher au nord prit direction vers l'est, comme s'il voulait suivre ce plateau télégraphique sur lequel repose le câble, et dont des sondages multipliés ont donné le relief avec une extrême exactitude.

Ce fut le 17 mai, à cinq cents milles environ de Heart's Content, par deux mille huit cents mètres de profondeur, que j'aperçus le câble gisant sur le sol. Conseil, que je n'avais pas prévenu, le prit d'abord pour un gigantesque serpent de mer et s'apprêtait à le classer suivant sa méthode ordinaire. Mais je désabusai le digne garçon et pour le consoler de son déboire, je lui appris diverses particularités de la pose de ce câble.

Le premier câble fut établi pendant les années 1857 et 1 858 ; mais, après avoir transmis quatre cents télégrammes environ, il cessa de fonctionner. En 1863, les ingénieurs construisirent un nouveau câble, mesurant trois mille quatre cents kilomètres et pesant quatre mille cinq cents tonnes, qui fut embarqué sur le _Great-Eastern_. Cette tentative échoua encore.

Or, le 25 mai, le _Nautilus_, immergé par trois mille huit cent trente-six mètres de profondeur, se trouvait précisément en cet endroit où se produisit la rupture qui ruina l'entreprise. C'était à six cent trente-huit milles de la côte d'Irlande. On s'aperçut, à deux heures après-midi, que les communications avec l'Europe venaient de s'interrompre. Les électriciens du bord résolurent de couper le câble avant de le repêcher, et à onze heures du soir, ils avaient ramené la partie avariée. On refit un joint et une épissure ; puis le câble fut immergé de nouveau. Mais, quelques jours plus tard, il se rompit et ne put être ressaisi dans les profondeurs de l'Océan.

Les Américains ne se découragèrent pas. L'audacieux Cyrus Field, le promoteur de l'entreprise, qui y risquait toute sa fortune, provoqua une nouvelle souscription. Elle fut immédiatement couverte. Un autre câble fut établi dans de meilleures conditions. Le faisceau de fils conducteurs isolés dans une enveloppe de gutta-percha, était protégé par un matelas de matières textiles contenu dans une armature métallique. Le _Great-Eastern_ reprit la mer le 13 juillet 1866.

L'opération marcha bien. Cependant un incident arriva. Plusieurs fois, en déroulant le câble, les électriciens observèrent que des clous y avaient été récemment enfoncés dans le but d'en détériorer l'âme. Le capitaine Anderson, ses officiers, ses ingénieurs, se réunirent, délibérèrent, et firent afficher que si le coupable était surpris à bord, il serait jeté à la mer sans autre jugement. Depuis lors, la criminelle tentative ne se reproduisit plus.

Le 23 juillet, le _Great-Eastern_ n'était plus qu'à huit cents kilomètres de Terre-Neuve, lorsqu'on lui télégraphia d'Irlande la nouvelle de l'armistice conclu entre la Prusse et l'Autriche après Sadowa. Le 27, il relevait au milieu des brumes le port de Heart's Content. L'entreprise était heureusement terminée, et par sa première dépêche, la jeune Amérique adressait à la vieille Europe ces sages paroles si rarement comprises : « Gloire à Dieu dans le ciel, et paix aux hommes de bonne volonté sur la terre. »

Je ne m'attendais pas à trouver le câble électrique dans son état primitif, tel qu'il était en sortant des ateliers de fabrication.