Jules Verne

« Eh ! qu'a donc monsieur ? demanda Conseil, très surpris. Monsieur a-t-il été mordu ?

-- Non, mon garçon, et cependant, j'eusse volontiers payé d'un doigt ma découverte !

-- Quelle découverte ?

-- Cette coquille, dis-je en montrant l'objet de mon triomphe.

-- Mais c'est tout simplement une olive porphyre, genre olive, ordre des pectinibranches, classe des gastéropodes, embranchement des mollusques...

-- Oui, Conseil, mais au lieu d'être enroulée de droite à gauche, cette olive tourne de gauche à droite !

-- Est-il possible ! s'écria Conseil.

-- Oui, mon garçon, c'est une coquille sénestre !

-- Une coquille sénestre ! répétait Conseil, le coeur palpitant.

-- Regarde sa spire !

-- Ah ! monsieur peut m'en croire, dit Conseil en prenant la précieuse coquille d'une main tremblante, mais je n'ai jamais éprouvé une émotion pareille ! »

Et il y avait de quoi être ému ! On sait, en effet, comme l'ont fait observer les naturalistes, que la dextrosité est une loi de nature. Les astres et leurs satellites, dans leur mouvement de translation et de rotation, se meuvent de droite à gauche. L'homme se sert plus souvent de sa main droite que de sa main gauche, et, conséquemment, ses instruments et ses appareils, escaliers, serrures, ressorts de montres, etc., sont combinés de manière a être employés de droite à gauche. Or, la nature a généralement suivi cette loi pour l'enroulement de ses coquilles. Elles sont toutes dextres, à de rares exceptions, et quand, par hasard, leur spire est sénestre, les amateurs les payent au poids de l'or.

Conseil et moi, nous étions donc plongés dans la contemplation de notre trésor, et je me promettais bien d'en enrichir le Muséum, quand une pierre, malencontreusement lancée par un indigène, vint briser le précieux objet dans la main de Conseil.

Je poussai un cri de désespoir ! Conseil se jeta sur mon fusil, et visa un sauvage qui balançait sa fronde à dix mètres de lui. Je voulus l'arrêter, mais son coup partit et brisa le bracelet d'amulettes qui pendait au bras de l'indigène.

« Conseil, m'écriai-je, Conseil !

-- Eh quoi ! Monsieur ne voit-il pas que ce cannibale a commencé l'attaque ?

-- Une coquille ne vaut pas la vie d'un homme ! lui dis-je.

-- Ah ! le gueux ! s'écria Conseil, j'aurais mieux aimé qu'il m'eût cassé l'épaule ! »

Conseil était sincère, mais je ne fus pas de son avis. Cependant, la situation avait changé depuis quelques instants, et nous ne nous en étions pas aperçus. Une vingtaine de pirogues entouraient alors le Naulilus. Ces pirogues, creusées dans des troncs d'arbre, longues, étroites, bien combinées pour la marche, s'équilibraient au moyen d'un double balancier en bambous qui flottait à la surface de l'eau. Elles étaient manoeuvrées par d'adroits pagayeurs à demi nus, et je ne les vis pas s'avancer sans inquiétude.

C'était évident que ces Papouas avaient eu déjà des relations avec les Européens, et qu'ils connaissaient leurs navires. Mais ce long cylindre de fer allongé dans la baie, sans mâts, sans cheminée, que devaient-ils en penser ? Rien de bon, car ils s'en étaient d'abord tenus à distance respectueuse. Cependant. Le voyant immobile, ils reprenaient peu à peu confiance, et cherchaient à se familiariser avec lui. Or, c'était précisément cette familiarité qu'il fallait empêcher. Nos armes, auxquelles la détonation manquait, ne pouvaient produire qu'un effet médiocre sur ces indigènes. qui n'ont de respect que pour les engins bruyants. La foudre, sans les roulements du tonnerre, effraierait peu les hommes, bien que le danger soit dans l'éclair, non dans le bruit.

En ce moment, les pirogues s'approchèrent plus près du _Nautilus_, et une nuée de flèches s'abattit sur lui.

« Diable ! il grêle ! dit Conseil, et peut-être une grêle empoisonnée !

-- Il faut prévenir le capitaine Nemo », dis-je en rentrant par le panneau.

Je descendis au salon. Je n'y trouvai personne. Je me hasardai à frapper à la porte qui s'ouvrait sur la chambre du capitaine.

Un « entrez » me répondit.