Utile végétal dont la nature a gratifie les régions auxquelles le blé manque, et qui, sans exiger aucune culture, donne des fruits pendant huit mois de l'année.
Ned Land les connaissait bien, ces fruits. Il en avait déjà mangé pendant ses nombreux voyages, et il savait préparer leur substance comestible. Aussi leur vue excita-t-elle ses désirs, et il n'y put tenir plus longtemps.
« Monsieur, me dit-il, que je meure si je ne goûte pas un peu de cette pâte de l'arbre à pain !
-- Goûtez, ami Ned, goûtez à votre aise. Nous sommes ici pour faire des expériences, faisons-les.
-- Ce ne sera pas long », répondit le Canadien.
Et, armé d'une lentille, il alluma un feu de bois mort qui pétilla joyeusement. Pendant ce temps, Conseil et moi, nous choisissions les meilleurs fruits de l'artocarpus. Quelques-uns n'avaient pas encore atteint un degré suffisant de maturité, et leur peau épaisse recouvrait une pulpe blanche, mais peu fibreuse. D'autres, en très grand nombre, jaunâtres et gélatineux, n'attendaient que le moment d'être cueillis.
Ces fruits ne renfermaient aucun noyau. Conseil en apporta une douzaine à Ned Land, qui les plaça sur un feu de charbons, après les avoir coupés en tranches épaisses, et ce faisant, il répétait toujours :
« Vous verrez, monsieur, comme ce pain est bon !
-- Surtout quand on en est privé depuis longtemps, dit Conseil.
-- Ce n'est même plus du pain, ajouta le Canadien. C'est une pâtisserie délicate. Vous n'en avez jamais mange, monsieur ?
-- Non, Ned.
-- Eh bien, préparez-vous à absorber une chose succulente. Si vous n'y revenez pas, je ne suis plus le roi des harponneurs ! »
Au bout de quelques minutes, la partie des fruits exposée au feu fut complètement charbonnée. A l'intérieur apparaissait une pâte blanche, sorte de mie tendre, dont la saveur rappelait celle de l'artichaut.
Il faut l'avouer, ce pain était excellent, et j'en mangeai avec grand plaisir.
« Malheureusement, dis-je, une telle pâte ne peut se garder fraîche, et il me paraît inutile d'en faire une provision pour le bord.
-- Par exemple, monsieur ! s'écria Ned Land. Vous parlez là comme un naturaliste, mais moi, je vais agir comme un boulanger. Conseil, faites une récolte de ces fruits que nous reprendrons à notre retour.
-- Et comment les préparerez-vous ? demandai-je au Canadien.
-- En fabriquant avec leur pulpe une pâte fermentée qui se gardera indéfiniment et sans se corrompre. Lorsque je voudrai l'employer, je la ferai cuire à la cuisine du bord, et malgré sa saveur un peu acide, vous la trouverez excellente.
-- Alors, maître Ned, je vois qu'il ne manque rien à ce pain...
-- Si, monsieur le professeur, répondit le Canadien, il y manque quelques fruits ou tout ou moins quelques légumes !
Cherchons les fruits et les légumes. »
Lorsque notre récolte fut terminée, nous nous mîmes en route pour compléter ce dîner « terrestre ».
Nos recherches ne furent pas vaines, et, vers midi, nous avions fait une ample provision de bananes. Ces produits délicieux de la zone torride mûrissent pendant toute l'année, et les Malais, qui leur ont donné le nom de « pisang », les mangent sans les faire cuire. Avec ces bananes, nous recueillîmes des jaks énormes dont le goût est très accusé, des mangues savoureuses, et des ananas d'un grosseur invraisemblable. Mais cette récolte prit une grande partie de notre temps, que, d'ailleurs, il n'y avait pas lieu de regretter.
Conseil observait toujours Ned. Le harponneur marchait en avant, et, pendant sa promenade à travers la forêt, il glanait d'une main sûre d'excellents fruits qui devaient compléter sa provision.
« Enfin, demanda Conseil, il ne vous manque plus rien, ami Ned ?
-- Hum ! fit le Canadien.
-- Quoi ! vous vous plaignez ?
-- Tous ces végétaux ne peuvent constituer un repas, répondit Ned. C'est la fin d'un repas, c'est un dessert. Mais le potage ? mais le rôti ?
-- En effet, dis-je, Ned nous avait promis des côtelettes qui me semblent fort problématiques.
-- Monsieur, répondit le Canadien, non seulement la chasse n'est pas finie, mais elle n'est même pas commencée.