Jules Verne

-- Pourquoi ?

-- Parce que ce ne sont pas des balles ordinaires que ce fusil lance, mais de petites capsules de verre - inventées par le chimiste autrichien Leniebroek - et dont j'ai un approvisionnement considérable. Ces capsules de verre, recouvertes d'une armature d'acier, et alourdies par un culot de plomb, sont de véritables petites bouteilles de Leyde, dans lesquelles l'électricité est forcée à une très haute tension. Au plus léger choc, elles se déchargent, et l'animal, si puissant qu'il soit, tombe mort. J'ajouterai que ces capsules ne sont pas plus grosses que du numéro quatre, et que la charge d'un fusil ordinaire pourrait en contenir dix.

-- Je ne discute plus, répondis-je en me levant de table, et je n'ai plus qu'à prendre mon fusil. D'ailleurs, ou vous Irez, j'irai. »

Le capitaine Nemo me conduisit vers l'arrière du _Nautilus_, et, en passant devant la cabine de Ned et de Conseil, j'appelai mes deux compagnons qui nous suivirent aussitôt.

Puis, nous arrivâmes à une cellule située en abord près de la chambre des machines, et dans laquelle nous devions revêtir nos vêtements de promenade.

XVI

PROMENADE EN PLAINE

Cette cellule était, à proprement parler, l'arsenal et le vestiaire du _Nautilus_. Une douzaine d'appareils de scaphandres, suspendus à la paroi, attendaient les promeneurs.

Ned Land, en les voyant, manifesta une répugnance évidente à s'en revêtir.

« Mais, mon brave Ned, lui dis-je, les forêts de l'île de Crespo ne sont que des forêts sous-marines !

-- Bon ! fit le harponneur désappointé, qui voyait s'évanouir ses rêves de viande fraîche. Et vous, monsieur Aronnax, vous allez vous introduire dans ces habits-là ?

-- Il le faut bien, maître Ned.

-- Libre à vous, monsieur, répondit le harponneur, haussant les épaules, mais quant à moi, à moins qu'on ne m'y force, je n'entrerai jamais là-dedans.

-- On ne vous forcera pas, maître Ned, dit le capitaine Nemo.

-- Et Conseil va se risquer ? demanda Ned.

-- Je suis monsieur partout où va monsieur », répondit Conseil.

Sur un appel du capitaine, deux hommes de l'équipage vinrent nous aider à revêtir ces lourds vêtements imperméables, faits en caoutchouc sans couture, et préparés de manière à supporter des pressions considérables. On eût dit une armure à la fois souple et résistante. Ces vêtements formaient pantalon et veste. Le pantalon se terminait par d'épaisses chaussures, garnies de lourdes semelles de plomb. Le tissu de la veste était maintenu par des lamelles de cuivre qui cuirassaient la poitrine, la défendaient contre la poussée des eaux, et laissaient les poumons fonctionner librement ; ses manches finissaient en forme de gants assouplis, qui ne contrariaient aucunement les mouvements de la main.

Il y avait loin, on le voit, de ces scaphandres perfectionnés aux vêtements informes, tels que les cuirasses de liège, les soubrevestes, les habits de mer, les coffres, etc., qui furent inventés et prônés dans le XVIIIe siècle.

Le capitaine Nemo, un de ses compagnons - sorte d'Hercule, qui devait être d'une force prodigieuse - , Conseil et moi, nous eûmes bientôt revêtu ces habits de scaphandres. Il ne s'agissait plus que d'emboîter notre tête dans sa sphère métallique. Mais, avant de procéder à cette opération, je demandai au capitaine la permission d'examiner les fusils qui nous étaient destinés.

L'un des hommes du _Nautilus_ me présenta un fusil simple dont la crosse, faite en tôle d'acier et creuse à l'intérieur, était d'assez grande dimension. Elle servait de réservoir à l'air comprimé, qu'une soupape, manoeuvrée par une gâchette, laissait échapper dans le tube de métal. Une boîte à projectiles, évidée dans l'épaisseur de la crosse, renfermait une vingtaine de balles électriques, qui, au moyen d'un ressort, se plaçaient automatiquement dans le canon du fusil. Dès qu'un coup était tiré, l'autre était prêt à partir.

« Capitaine Nemo, dis-je, cette arme est parfaite et d'un maniement facile. Je ne demande plus qu'à l'essayer.