Jules Verne

Rappelle-toi la série de ces faits inexplicables, qui s'enchaînent logiquement l'un à l'autre. Cette lettre anonyme, contradictoire de celle de mon père, prouve, tout d'abord, qu'un homme a eu connaissance de nos projets et qu'il a voulu en empêcher l'accomplissement. M. Starr vient nous rendre visite à la fosse Dochart. A peine l'y ai-je introduit, qu'une énorme pierre est lancée sur nous, et que toute communication est aussitôt interrompue par la rupture des échelles du puits Yarow. Notre exploration commence. Une expérience, qui doit révéler l'existence du nouveau gisement, est alors rendue impossible par l'obturation des fissures du schiste. Néanmoins, la constatation s'opère, le filon est trouvé. Nous revenons sur nos pas. Un grand souffle se produit dans l'air. Notre lampe est brisée. L'obscurité se fait autour de nous. Nous parvenons, cependant, à suivre la sombre galerie... Plus d'issue pour en sortir. L'orifice était bouché. Nous étions séquestrés. Eh bien, Jack, ne vois-tu pas dans tout cela une pensée criminelle ? Oui ! un être, insaisissable jusqu'ici, mais non pas surnaturel, comme tu persistes à le croire, était caché dans la houillère. Dans un intérêt que je ne puis comprendre, il cherchait à nous en interdire l'accès. Il y était !... Un pressentiment me dit qu'il y est encore, et qui sait s'il ne prépare pas quelque coup terrible ! -- Eh bien, Jack, dussé-je y risquer ma vie, je le découvrirai ! »

Harry avait parlé avec une conviction qui ébranla sérieusement son camarade.

Jack Ryan sentait bien qu'Harry avait raison, -- au moins pour le passé. Que ces faits extraordinaires eussent une cause naturelle ou surnaturelle, ils n'en étaient pas moins patents.

Cependant, le brave garçon ne renonçait pas à sa manière d'expliquer ces événements. Mais, comprenant qu'Harry n'admettrait jamais l'intervention d'un génie mystérieux, il se rabattit sur l'incident qui semblait inconciliable avec le sentiment de malveillance dirigée contre la famille Ford.

« Eh bien, Harry, dit-il, si je suis obligé de te donner raison sur un certain nombre de points, ne penseras-tu pas avec moi que quelque bienfaisant brawnie, en vous apportant le pain et l'eau, a pu vous sauver de...

-- Jack, répondit Harry en l'interrompant, l'être secourable dont tu veux faire un être surnaturel existe aussi réellement que le malfaiteur en question, et, tous deux, je les chercherai jusque dans les plus lointaines profondeurs de la houillère.

-- Mais as-tu quelque indice qui puisse guider tes recherches ? demanda Jack Ryan.

-- Peut-être, répondit Harry. Écoute-moi bien. A cinq milles dans l'ouest de la Nouvelle-Aberfoyle, sous la portion du massif qui supporte le Lomond, il existe un puits naturel qui s'enfonce perpendiculairement dans les entrailles mêmes du gisement. Il y a huit jours, j'ai voulu en sonder la profondeur. Or, pendant que ma sonde descendait, alors que j'étais penché sur l'orifice de ce puits, il m'a semblé que l'air s'agitait à l'intérieur, comme s'il eût été battu de grands coups d'ailes.

-- C'était quelque oiseau égaré dans les galeries inférieures de la houillère, répondit Jack.

-- Ce n'est pas tout, Jack, reprit Harry. Ce matin même, je suis retourné à ce puits, et là, prêtant l'oreille, j'ai cru surprendre comme une sorte de gémissement...

-- Un gémissement ! s'écria Jack. Tu t'es trompé, Harry ! C'est une poussée d'air.., à moins qu'un lutin...

-- Demain, Jack, reprit Harry, je saurai à quoi m'en tenir.

-- Demain ? répondit Jack en regardant son camarade.

-- Oui ! Demain, je descendrai dans cet abîme.

-- Harry, c'est tenter Dieu, cela !

-- Non, Jack, car j'implorerai son aide pour y descendre. Demain, nous nous rendrons tous deux à ce puits avec quelques-uns de nos camarades. Une longue corde, à laquelle je m'attacherai, vous permettra de me descendre et de me retirer à un signal convenu. -- Je puis compter sur toi, Jack ?

-- Harry, répondit Jack Ryan en hochant la tête, je ferai ce que tu me demandes, et cependant, je te le répète, tu as tort.